destynova;4493272 a dit :
D'accord mais je pense quand même que légiférer c'est accepter. Légiférer c'est dire que la situation nous convient, et refermer le livre. Légiférer c'est mettre la situation de côté et faire comme si c'était réglé parce qu'on met du savon et quelques capotes à portée de main.
Justement, je trouve que la phrase de @betty-blue "légiférer, c'est encadrer" est très juste : précisément, légiférer sur la prostitution, ce serait essayer de modifier la situation pour l'améliorer.
Dire que "c'est réglé si on met du savon et des capotes à côté", ça dépend de ce que tu appelles "réglé". Si ce qu'on souhaite, c'est que les personnes qui se prostituent puissent au moins exercer leur métier dans des conditions d’hygiène et de santé acceptable, alors oui, leur donner un contrat de travail et un meilleur accès au soin règlerait ce problème.
Après, ça ne règlerait pas la question philosophique de savoir si la prostitution est acceptable ou pas en soi ; mais le but des lois ne devrait-il pas (aussi) être de protéger les personnes les plus fragiles et les plus en danger dans la société, plutôt que leur causer du tort - ce que va visiblement faire cette loi ?
destynova;4493272 a dit :
Je ne veux pas accepter la situation où on exploite la sexualité des femmes, parce que même consentantes, en légiférant, l'Etat laisse symboliquement aux femmes la responsabilité des gérer les "pulsions" des hommes, sauf que maintenant ce sera clair. Je préférerait que l'Etat dise que les femmes sont des personnes, que leurs désirs leur appartient et que c'est quelque chose qui ne peut pas être troqué/loué/échangé contre de l'argent. Je préférerais que l'Etat cherche d'autres solutions (ce qui ne veut pas dire abandonner les prostituées à leur situation).
Sauf que là, clairement, c'est ce qui est en train de se passer.

Le client est pénalisé, et la prostituée n'a plus qu'à s'adapter pour pouvoir survivre. Se cacher, accepter de négocier plus rapidement, etc. Et comme le souligne
la note de Crêpe Georgette, les prostitué-e-s qui ne sont pas sous la coupe d'un réseau mais font ce métier par nécessité, rien ne leur est proposé.
destynova;4493272 a dit :
Tu parles de condition digne et indigne, ben pour moi indigne c'est quand la femme est reléguée au statut d'objet consommable, que son corps ne lui appartient plus et que son désir est effacé au profit de celui de l'autre, que ça devient quelque chose qu'on peut acheter ou louer.
Bref, tout le contraire de ce que des génération de féministes ont essayé de gagner. Il me semble que la lutte concernait pas mal le fait de rendre les femmes autonomes et indépendantes économiquement afin qu'elles puissent se réapproprier leurs corps. Une autre des problématiques c'était de ne pas ramener les femmes uniquement à leur corps, de leur faire comprendre qu'elles avaient d'autres sources de pouvoir en elles. Selon moi la prostitution c'est l'inverse de la notion d'empowerment (n'en déplaise à Virginie Despente), c'est céder son pouvoir contre de l'argent. Le pouvoir c'est vivre selon ses désirs à soi, pas de donner au client la place centrale et la priorité sur sois.
Même si certaines sont ok avec le fait de jouer le jeu du patriarcat et aient intégré le discours qui leur fait penser qu'être objectifiée est une "liberté" ou un "droit", moi je me soucie de celles qui vont être (et sont) victimes (en masse) de ce discours biaisé.
Selon moi, rendre légal la prostitution c'est apporter de l'eau à un moulin qui tourne déjà bien à la défaveur des femmes.
Oui mais justement, la solution actuelle ne prend pas en compte la parole des victimes.
On fait une loi de principe, on espère que ça va détourner certains clients de la prostitution, mais on ne se rend pas compte qu'autant les clients ont le choix, autant c'est beaucoup moins le cas pour les prostituées. Donc leur dire "ce que vous faites est illégal", ça revient à leur dire "sois dans l'illégalité ou crève".
destynova;4493272 a dit :
En légiférant sur la prostitution dans d'autres pays, peut-être que celles qui le vivaient bien s'en sortent toujours bien, mais celles qui le faisaient par contrainte économique par exemple, se retrouvent juste dans une situation encore plus précaire parce qu'elles doivent payer des taxes mais qu'elles sont toujours victimes de violences, isolées, etc. D'où le fait que plusieurs pays souhaitent revenir sur leur loi.
Donc encadrer, oui mais sans se demander pourquoi ni dans quel but je ne sais pas si c'est pertinent, d'autant plus si on sait que ça n'a pas fonctionné ailleurs. J'espère qu'on va plutôt essayer de trouver d'autres solutions plutôt que de se laver les mains de ce que vivent la majorité des prostituées une fois qu'elles payent des taxes.
Le problème, en fait, qui est emberlificoté avec la prostitution, c'est la pauvreté, la précarité et la situation irrégulière des migrants. Or si on essaye de trouver des "solutions" à la prostitution sans rien faire pour ces autres problèmes, ça ne peut pas marcher.
C'est pour ça que, dans la situation actuelle où rien n'est fait pour lutter contre la précarité ou régulariser en masse, je ne vois pas d'autre solution que légaliser, pour au moins pouvoir donner une situation aux prostituées, les rendre plus crédibles si elles vont voir la police, leur donner accès à une assurance maladie, etc.
Si la précarité et les régularisations des personnes sans papier était au moins en partie réglé, là on pourrait commencer à se poser vraiment la question d'abolition, mais en l'état des choses, ça me semble contre-productif. Je ne dis pas ça dans le sens "il y a des combats plus importants" ou "ce n'est pas le moment", mais bien dans le sens où lutter contre la conséquence sans lutter contre la cause n'a pas beaucoup de sens, surtout si cela ne fait qu'aggraver la situation des personnes qui subissent ces conséquences.