En fait, il y a un grand débat autour de la notion de matriarcat.
Beaucoup de gens le comprennent comme un miroir du patriarcat : les femmes domineraient les hommes et les opprimeraient, détiendraient pouvoir et propriété etc. Or l'étymologie de patriarcat c'est simplement "le père qui commande" et c'est quand même très inspiré des notions de cellules familiales promues par les religions monothéistes et l'héritage gréco-romain (un papa + une maman et autour d'eux des parents et enfants). Des sociétés ont été identifiées comme ayant des signes de pouvoir matriarcal dans le sens où certains pouvoirs ont pu être détenus par la mère ou des femmes âgées. Le pouvoir peut s'exprimer de différentes manières car si aujourd'hui dans les pays occidentaux on sépare les notions de politique, religieux et social, ça n'a pas toujours été le cas dans toutes les sociétés. Détenir un pouvoir social ou religieux pouvait de fait donner un pouvoir politique.
Le problème dans le débat occidental patriarcat/matriarcat c'est qu'on réfléchit de manière binaire en se basant sur nos propres valeurs de division des tâches genrées, nos propres valeurs de hiérarchies de pouvoir, notre propre conception du genre (certaines sociétés ont un troisième genre comme en Polynésie). Or rien que dans la notion de famille, d'héritage et d'appartenance de lignages, on a des différences très importantes d'une société à l'autre. Et si la notion de famille n'a pas grand-chose à voir avec notre notion de famille patriarcale ou de famille nucléaire, ça bouleverse pas mal la possibilité d'appliquer une grille de lecture sur le thème de "c'est le père ou la mère qui domine?". Et la réflexion des anthropologues (souvent issus de cultures monothéistes ou inspirés par des écrits occidentaux) autour d'une société différente peut être considérablement influencée par leur propre perception des rapports sociaux ou de genres.
Je sais que certains discours féministes insistent reprennent le motif de "le matriarcat n'a jamais existé", que ce qu'on prend pour du matriarcat n'est qu'une forme de patriarcat déguisé (ex: les sociétés matrilinéaires ou le pouvoir vient du côté de la mère mais des hommes de sa famille et pas de la mère elle-même). C'est une façon d'insister sur le déséquilibre du monde. Mais d'un autre côté, c'est aussi tout voir à travers la norme du patriarcat. La
page Wikipédia anglaise est pas mal faite pour retracer certains débats sur le sujet et il y a cette citation très intéressante (traduite par moi) attribuée à deux féministes (Barbara Love et Elizabeth Shanklin) :
Lorsque nous entendons le mot "matriarcat", nous sommes conditionnés à répondre plusieurs choses : que le matriarcat évoque le passé et que les matriarcats n'ont jamais existé ; que le matriarcat est un fantasme sans espoir de la domination féminine, des mères qui domineraient les enfants, de femmes qui seraient cruels envers les hommes. Nous conditionner négativement par rapport au matriarcat est, bien sûr, dans l'intérêt des patriarches. On nous donne l'impression que le patriarcat est naturel ; nous sommes alors moins susceptibles de le questionner et moins susceptibles de diriger notre énergie contre lui.
Bref, tout ça pour dire que le matriarcat n'est pas forcément l'inverse du patriarcat, que d'autres systèmes que le patriarcat ont pu exister et que certaines sociétés ont pu bel et bien avoir des structures en partie matriarcale!