@fautpaspousser @cleos : perso, j'ai plus ou moins de la chance. Il est sensibilisé au féminisme parce que sa mère et ses tantes étaient/sont féministes (il a été élevé par sa mère et ses amis successifs, n'a que très peu connu son père et a une conception presque matrilinéaire de la famille, sa grand-mère était davantage chef de famille que son grand-père) et parce qu'il a un peu étudié le sujet en sciences politiques au Canada.
Donc au début, y avait zéro problème sur le sujet, il se disait féministe, n'a jamais fait de remarque ni vraiment sexiste ni vraiment homophobe - le pire qu'il allait faire, c'est dire en rigolant "ah ça, c'est pas un curry de t*p*tte".
Mais petit à petit, comme mon féminisme s'affirmait et que j'en parlais de plus en plus, notamment en sortant des films, quand on commentait, et que j'allais parler du rôle des femmes, du manque de diversité, des stéréotypes, etc, il y a un moment où ça a commencé à bloquer, où il se faisait un peu "l'avocat du diable", où il tirait la gueule quand j'en parlais pendant un peu trop longtemps... Il a commencé à me dire que c'était son esprit de contradiction, que quand il est face à quelqu'un qui a un avis très tranché, il a tendance à aller chercher la petite bête, et il a fini par m'avouer que, de façon paradoxale, il avait un problème avec le féminisme, qu'il avait vu des féministes radicales au Canada et qu'il avait trouvé ça "trop extrême", etc.
Une fois, il m'a même dit que maintenant, quand on regarde un film (ce qui arrive au moins une fois par jour vu qu'on a une collec de DVD de ouf), il est parfois mal à l'aise parce qu'il se dit "ah, ça ça va pas lui plaire" et du coup, même quand je disais rien, ça lui gâchait le film. Ce jour-là, je me suis énervée en pleurant en lui disant que c'était pas MOI le problème mais le sexisme / l'homophobie / le racisme des films qu'on regardait, et que c'était dégueulasse de m'en faire porter la responsabilité, juste parce que je REMARQUE ces problèmes. Je crois qu'il m'a plutôt comprise et n'est plus trop revenu sur le sujet.
Y a eu un moment où on finissait par s'énerver un peu presque à chaque fois que j'abordais le sujet et que je n'évacuais pas ça en 30 secondes sur le ton de la blague. Ca devenait presque oppressant, parce que j'avais l'impression de ne pas avoir "le droit" d'aborder le sujet alors que c'est quelque chose qui prend de plus en plus de place dans ma vie, donc c'était très frustrant et je me sentais très très mal - je n'ai jamais envisagé de le quitter, mais je me suis dit "si ça continue comme ça, ça va être très pénible".
Et puis à force de discussion, de lui dire ce que je ressentais et de lui donner mes arguments, la situation s'est un peu tassée. En fait, on a fini par comprendre qu'on avait deux philosophies très différentes sur le sujet : lui voit les injustices, les regrette, mais les prend comme une fatalité, et préfère ne pas trop s'attarder dessus et essayer de vivre sa vie. Moi je les vois, je les regrette, ça m'énerve et je ne perds pas espoir sur le fait que ça puisse changer - lentement, pas suffisamment profondément, pas suffisamment vite, mais que si on ne fait rien, ça va forcément s'aggraver, et qu'il faut donc en parler.
Un exemple typique, c'est le racisme dans les films. On regarde beaucoup de vieux films, qui ont été faits à des époques où la société était encore plus raciste qu'aujourd'hui. Exemple : La porte du diable, un western de 1950 où le héros est un indien, et qui prend clairement le parti des indiens, en montrant comment les colons ont dépossédé les indiens de leurs terres. Donc, clairement, un film progressiste pour l'époque !... et où l'indien est joué par... Robert Taylor.
Et donc notre discussion sur le sujet a été une variation sur le thème de :
Lui : "c'était vachement progressiste pour l'époque"
Moi : "certes, mais c'est raciste de faire jouer le rôle de l'indien par Robert Taylor"
Lui : "certes, mais c'était vachement progressiste pour l'époque"
Moi : "certes, mais c'est raciste de faire jouer le rôle de l'indien par Robert Taylor"
... en gros.
Et c'est toujours comme ça : lui pointe le progressisme, moi je pointe les défauts. Je sais que ça s'inscrit dans un contexte - il rappelle par exemple qu'à une certaine époque, aux Etats-Unis, si tu mettais des personnages noirs, tu te coupais tout le marché du Sud - et je réponds, ouais, super, mais une décision raciste prise sous la pression de racistes reste une décision raciste...
Mais maintenant, on sait comment chacun fonctionne, donc quand la discussion commence à tourner en rond, on a la présence d'esprit de le sentir et d'arrêter. La dernière fois, c'était sur le voile, et en décortiquant on a finir par s'apercevoir qu'on a deux notions assez différentes de la laïcité - lui, c'est celle communément acceptée, qui est qu'il ne doit pas y avoir d'expression d'appartenance religieuse dans le cadre public (dans le sens "dans les institutions publiques", école, administration, etc, pas dans le sens "en public", dans la rue, etc) ; la mienne est que l'Etat ne doit pas imposer de religion mais que ça implique aussi qu'on laisse le droit à chacun d'exprimer librement son appartenance à sa religion tant qu'il n'impose rien aux autres (ce qui implique notamment qu'un prof qui imposerait des vues religieuses à ses élèves, ça n'a rien à voir avec une élève qui porte le voile). Il a fini par me dire que ma vision de la laïcité n'était pas la vision communément admise et légiférée en France, je lui ai dit que je m'en fiche et que le fait que la loi ne corresponde pas à ma vision des choses ne m'empêche pas de considérer ma vision comme plus juste.
Bref, je pense qu'il est important de discuter à cœur ouvert avec l'autre de nos convictions profondes, de comprendre comment l'autre fonctionne, dans quel mesure il-elle est disposé-e à réfléchir et à évoluer, et surtout de poser ses propres limites : décider ce qu'on peut supporter et ce qu'on ne peut pas supporter, et le dire clairement à l'autre. Partant de là, à chacun de voir comment il accepte d'ajuster ses limites, et si ça bloque des deux côtés, éventuellement, se demander si c'est judicieux de rester ensemble. Si on en était arrivés à un point où il m'avait dit "je ne veux plus qu'on discute de féminisme" (et on n'était pas très loin à un moment), par exemple, je pense que ça aurait vraiment bloqué au point de casser. Le problème, c'est que parfois, on se dit qu'on ne veut pas en arriver là, que ce serait trop bête de casser pour ça... Mais je pense que c'est vraiment toxique de penser que n'importe quelle relation est à sauvegarder à tout prix. Je pense qu'on ne peut pas avoir de relation saine si on n'a pas en permanence la porte de sortie en vue. Ce qui ne veut pas dire "être au bord de la rupture en permanence", mais savoir ce qu'on attend de sa relation, et ce qui nous semble acceptable et ce qui ne l'est pas. Le danger étant évidemment de décider de repousser encore et encore ces limites en gardant l'illusion que c'est volontaire... donc je pense qu'il faut être lucide avec soi-même sur l'évolution de ces limites. Toujours se considérer soi-même comme étant une priorité plus importante que son couple.
Aujourd'hui, suite à nos multiples discussions, il ne se dit plus féministe, mais "sympathisant". Non pas qu'il ait changé de position, mais qu'il réalise ne pas être en accord avec tous les principes.