agapanthe7;4768301 a dit :
Bonsoir,
Petite question aux habituees: vu votre degre d'implication dans le Feminisme, parvenez vous a garder le lien avec vos amis "d'avant" quand bien meme leurs ideaux differeraient?
Je pose la question car irl je connais pas de gens impliques comme ca, et j'avoue que ca m'intrigue.
Ne craignez vous pas de ne plus voir les choses qu'a travers ce prisme?
Regrettez vous le manque de "conscience" de certains acolytes du reel?
En tant que femmes, vous etes plus en colere, plus craintives,ou les deux, a mesure que vous vous ouvrez au Feminisme(au sens large. Je n'ignore pasle fait qu'il y ai moult courants)?
Pour répondre à tes questions :
parvenez vous a garder le lien avec vos amis "d'avant" quand bien meme leurs ideaux differeraient?
---> Bon déjà moi je suis sensibilisée aux questions de sexisme et au féminisme par ma mère et d'autres depuis que je suis gamine donc j'ai toujours eu plus ou moins des gens un minimum au courant autour de moi ou alors qui n'osent pas forcément dire des trucs choquants devant moi parce qu'ils connaissent ma sensibilité. Du coup mes amis d'avant n'ont pas franchement des idéaux radicalement opposés même s'ils ne sont pas forcément aussi "conscients" du sexisme que moi.
Sinon je ne parle pas spécialement de sujets féministes avec tout le monde. Si je suis touchée personnellement par un truc, je vais le partager mais je vais adapter le contenu de mes propos en fonction des gens. Quand je découvre qu'une personne est 100% féministe, je dis tout comme ça me vient. Avec cette personne aussi je vais disserter de sujets plus généraux du féminisme et du sexisme. Quand une personne est moins sensible, je vais essayer de tenir un discours plus "grand public" en faisant plus d'efforts pour expliquer ce qui me pose problème (au lieu d'estimer que l'injustice est évidente).
Mais mon expérience aussi c'est que "naturellement", la plupart des gens avec qui je me lie d'amitié sans connaitre leur position au préalable (surtout les filles) sont prêts à discuter de notions féministes de manière constructive, même s'ils ne sont pas d'accord à la base avec moi.
Ne craignez vous pas de ne plus voir les choses qu'a travers ce prisme?
---> Je ne considère pas que le féminisme est un "prisme", ce n'est pas un angle de vue que j'adopte dans certaines circonstances, cela fait partie de ma personnalité en quelque sorte. Ce n'est pas un filtre sur le monde à mes yeux, c'est le constat d'une réalité et une manière de rechercher des solutions pour améliorer cette réalité.
Ce qui est un "prisme" par contre, ce sont les différentes analyses sociales des phénomènes sexistes. Le phénomène existe mais les solutions proposées et les mécanismes de ce phénomène peuvent se discuter et c'est d'ailleurs pour ça que les féministes débattent entre elles.
Donc en fait, je ne vois pas comment je pourrais voir les choses autrement que par le féminisme (parce que son essence première n'est pas une "théorie" qui m'intéresse et que j'essaye d'étudier mais simplement la façon dont je vois le monde). Par contre, je pense qu'il faut toujours rester ouvert et à l'écoute des différentes analyses, débats et théories argumentées sur les sujets de sexisme et de féminisme (produites par des gens qui s'y connaissent hein, pas par Monsieur tout le monde) car là effectivement on peut être piégé par un "prisme" si on pense de manière obstinée que telle ou telle explication n'est pas contestable.
Regrettez vous le manque de "conscience" de certains acolytes du reel?
---> Je me prends la tête parfois avec des gens en vrai (toujours des gens que je connais depuis peu de temps) mais comme ce n'est pas mon quotidien permanent, je n'ai pas forcément un sentiment énorme de découragement. Je pense dans ces situations "non mais c'est HALLUCINANT qu'il soit si à côté de la plaque!" mais en général, je considère que si la personne est cool, c'est mon job de lui faire découvrir ma vision du monde.
Et puis surtout, j'ai vu tellement de gens progresser et changer radicalement d'opinion sur le sexisme au fil des mois que j'ai beaucoup de foi dans la tâche des féministes. Rien que le truc de Diglee sur le harcèlement de rue, je le vois sur Facebook et sur Twitter accompagnés de commentaires enthousiastes alors qu'il y a quelques mois, les personnes qui le partagent et emploient le terme harcèlement de rue auraient dit "non mais n'exagère pas, harcèlement de rue c'est n'importe quoi comme terme, c'est de la drague un peu lourde, c'est tout".
Donc on ne peut pas dire que je regrette vraiment le manque de discernement des gens parce que je pense que leur opinion est loin d'être figée (ou alors qu'ils sont sexistes jusqu'à la moelle et là, je ne peux pas faire grand-chose d'autre que de rallier d'autres gens contre eux). Même quand des gens m'ont contredite avec force en étant en apparence en total désaccord avec moi, leur opinion a évolué, ils ont réfléchi sans en avoir l'air et parfois quelques mois plus tard, ils ont adopté le discours que je tenais!
En tant que femmes, vous etes plus en colere, plus craintives,ou les deux, a mesure que vous vous ouvrez au Feminisme(au sens large. Je n'ignore pasle fait qu'il y ai moult courants)?
---> Je ne me sens ni plus en colère ni plus craintive en fait mais surtout plus en confiance.
Quand un truc me met en pétard, j'ai l'impression de prendre le pouvoir sur la réalité en refusant l'injustice. Cette colère me donne l'impression de ne pas être une victime passive et je ne considère pas vraiment ça comme de la colère au fond, plus comme ma manière de m'affirmer (je pense d'ailleurs qu'on appelle ça "colère", ce qui sous-entend une part de violence, de brutalité, d'affectivité, car on n'est pas habitués à ce que les personnes discriminées refusent leur situation et que du coup, leur opposition parait anormalement agressive mais que dans les faits c'est autre chose que de la colère).
Mais surtout comme je dis, je me sens plus en confiance, plus forte, le féminisme me donne des outils pour prendre plus facilement le contrôle de mon existence et me défendre face aux situations hostiles.
Le féminisme me donne aussi de la sérénité car je sais que les situations que je trouve injustes ne sont pas "dans l'ordre des choses".
Au départ, c'était une situation un peu bizarre car j'étais sensibilisée au sexisme donc j'identifiais les situations injustes mais le féminisme de mes proches n'était pas assez poussé pour y trouver des solutions. Du coup, je "souffrais" de ces injustices mais je ne savais pas ce qu'on pouvait y faire. Parfois j'entendais aussi le discours du "c'est la nature qui veut ça" et même si au fond de moi je refusais cette idée, je me disais que je ne pouvais pas lutter contre la nature et c'était super décourageant. J'étais vraiment tiraillée entre le fait que je pensais que le traitement différent entre garçons et filles n'était pas juste et le fait qu'on me disait que c'était naturel que ce soit différent. C'est un peu comme je ne sais... apprendre le décès d'un proche. On voudrait que ce ne soit pas vrai mais ça l'est, ça ne changera pas, alors on n'a que ses larmes pour pleurer devant cette situation qu'on ne veut pas mais qu'on doit se contenter d'accepter.
Découvrir le concept de construction sociale du genre (j'avais 13-14 ans) m'a donné une première lueur d'espoir parce que tout-à-coup, je comprenais que ce n'était pas inéluctable, que ma "place de fille" que je trouvais injuste pouvait changer et pas juste parce que j'étais une personne spéciale différente des autres filles, que c'était parfaitement raisonnable de réclamer le changement, qu'il y avait des tas de preuves que ce n'était pas fait pour durer. A partir de là, je pouvais rétorquer "non, les filles ne sont pas naturellement comme ça, elles ont été éduquées à l'être" et je pouvais aussi lutter contre le poids des stéréotypes en questionnant toujours mes réflexes ("as-tu envisagé un truc (sport, études etc.) plus "masculin" avant de te lancer spontanément dans ce truc typiquement féminin?").
En dehors de ma propre vie et de mon propre développement, je trouve que le féminisme est la réponse active face à ce qui nous choque. Si des choses qui arrivent à d'autres femmes nous horrifient, le féminisme donne des solutions pour aider les victimes et prévenir ces situations à l'avenir, ne serait-ce que parce qu'on peut expliquer aux gens autour de nous pourquoi ça arrive et comment l'éviter. Bien sûr, ça ne marchera pas forcément du premier coup mais c'est mille fois mieux que de lire le journal les larmes aux yeux en se disant "ce monde est pourri!" et en ne sachant quoi faire.
Bref, le féminisme n'est pas une "cause difficile" pour moi, c'est simplement naturel. Par contre, j'ai parfois la flemme de débattre avec les gens trop butés et ce sont les débats ou les revendications qui peuvent être plus compliqués.