theodelinde;4863371 a dit :Je pète un peu un câble en regardant le reportage de M6 (bon déjà M6...) sur les gitans!
Et je me sens très confuse parce que j'ai l'impression que c'est raciste dès qu'on les "critique", alors que c'est juste l'aspect d'un système et des traditions complétement sexistes et rétrogrades qui me gêne...
Du coup comment on peut allier lutte intersectionnelle contre les discriminations et quand même critiquer les traditions d'une communauté et leurs propos (en tant que système culturel, pas en tant que population)?
Et c'est pas valable uniquement pour cet exemple précis bien sûr. Mais je sais que les Femen sont souvent accusées de racisme par exemple... Donc je voudrais surtout pas être dans le même panier quoi! J'ai l'impression d'être claire dans ma tête, mais maladroite dans mes propos...
Ce qui m’énerve le plus en l’occurrence (outre la scène de mutilation sexuelle en live... ), c'est que la chaine montre ça comme "les traditions gitanes" sans aucun recul et sans montrer du tout que c'est les mêmes principes de base qui sont à l'origine du sexisme "occidental" et qui ne sont juste plus appliqués de manière aussi traditionnelle...
Le problème que tu cites @theodelinde, beaucoup l'ont sans doute déjà rencontré, quel que soit la culture étudiée/critiquée.
Je n’ai pas vu le reportage en question, je prendrais peut-être mon courage à deux mains pour le voir en replay mais ça pue d’avance et ce que tu en dis n’est déjà pas glorieux !
spoiler vénère :
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Je vais illustrer mon propos en parlant de la culture gitane en exemple, mais la réflexion est valable pour l'étude de n'importe quelle autre culture.
Deux points de base:
-Il faut accepter le fait qu'on ne puisse pas appréhender une culture étrangère/externe dans sa globalité et dans ses subtilités.
[Je précise "étrangère" dans le sens étranger/externe à la sienne, pas dans le sens de nationalité]
-Nous sommes externe à cette culture, notre critique ne se fait que par le prisme de *notre* propre culture.
Cela parait être une évidence mais c'est loin d'être le cas quand tu vois la masse de reportages incomplets, volontairement ou non...
Les applications pratiques de ces points de base :
1) Ecouter la parole des gens issu de cette culture externe :
C’est un crédo récurrent dans la pratique intersectionnelle, en effet, il s’agit de donner la parole aux gens invisibilisés.
Mais cela ne devrait même pas être que l'apanage de l'intersectionnalité, c'est à la mode en ce moment, mais ça reste la BASE pour s'informer réellement sur une culture: aller voir les gens *issu* de cette culture, et non pas en rester à des témoignages de seconde voire troisième main de gens de "chez nous".
Par contre ce qui est dans la mouvance intersectionnel c'est de faire le choix *politique* de médiatiser, relayer telle quelle la parole de ces invisibles, et non pas seulement d'aller la chercher pour s'informer sans la relayer puis de publier soi-même *son* avis après l'avoir décortiqué et pré-digérée voire modifiée...
Pour parler de la culture gitane, je préfère m'adresser à un Gitan qu'à un journaliste pigiste parisien payé pour faire de la soupe sensationnaliste.
Et franchement depuis Internet, on a aucune excuse pour ne pas essayer de le faire.
Ainsi, il est préférable de se référer aux critiques issus de cette culture étrangère, qu’aux critiques issus de la nôtre.
Malheureusement ce n’est absolument pas la première chose que nous faisons !
En général, c’est d’abord à travers quelqu’un de notre culture que nous prenons conscience d’un phénomène dans une autre culture/pays (que cela soit une discrimination ou autre un truc positif ou marrant). C’est assez rare de découvrir quelque chose à travers quelqu’un d’externe à notre culture.
Mais malgré la première approche issu de notre propre culture, c’est à nous qu’il incombe de multiplier nos sources. Et multiplier nos sources ne veut pas dire : différents journaux, étude issu de *notre* culture uniquement… mais aussi (en fait surtout) de chez eux ! Voire d’ailleurs encore. ça c'est un bonus pour étudier les regards croisés sur une même culture (et décrypter *nos* biais au passage).
2) Les outils :
Ainsi nous faisons une critique d'un système donné avec les outils inhérents à un autre système.
Ce n'est pas un raisonnement « logique » et pourtant c’est le seul à notre portée consciente immédiate.
Comment réussir une critique objective lorsque l’on part d’un raisonnement illogique n’est-ce pas ?
Pourtant ces outils extra-culturel peuvent être adaptés, comme ils peuvent être non adaptés, non pertinent, ou biaisés.
Il faut déjà donc s'accorder sur la pertinence de nos outils d'analyse.
Et dire l’outil « féministe /égalitaire » ne suffit certainement pas, car il ne veut rien dire en soi, tant nous savons qu’ils existent divers mouvements féministes qui en utilisant des outils d’analyse différents en arrivent à des conclusions différentes.
Va falloir être bien plus précis que cela.
Quels outils utilise-ton exactement ? Lesquels je choisis, lesquels je ne choisis pas et pourquoi ?
Quel est l’objet de ma critique ? Dans quel discours s’inscrit-elle ? Ai-je un but en tête ?
Quelles sont les hypothèses de départ ? Comment j’étudie, comment je délimite mon champ d’investigation, comment me suis-je assuré que mes délimitations sont propres à ce nouveau champ d’étude et non l’émanation d’une routine ? (genre est-ce bien intelligent d'étudier la situations des femmes en Ouganda de la même manière que je vais étudier celles des femmes en Papouasie-Nouvelle Guinée ?).
Ces Outils, peuvent-ils s’appliquer à cette culture ? Si oui, avec quel prérequis ? Ces prérequis sont-ils un handicap à mon analyse ? Dois-je les étudier également, et si oui à part ou en même temps ?
Ces outils amènent ils aux mêmes conclusions dans notre culture et la leur ? Si non qu’en conclure ? Ne néglige-t-on pas sciemment des outils qui n’abonderaient pas dans notre sens ? Avec les outils négligés, à quoi aboutissons-nous comme analyse ?
Etc…
Exemple sur Budapest d'où je reviens.
Harcèlement de rue.
Nationalisme, Shoah et Tzigane
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3) Les biais et préjugés culturels et notre propre auto-critique dans l’évaluation et dans la critique.
-Il faut prendre en compte que les rapports de domination, les préjugés, les stéréotypes de notre culture sur la leur ont biaisé notre jugement de celle-ci.
Nous devons donc absolument nous interroger sur ces biais avant même d’établir une quelconque critique.
-Même nos outils d’analyses peuvent être empreints de ces rapports de domination.
Nous ne devons pas, par orgueil et vanité intellectuelle, croire que nos outils d’analyses font acte d’outils universels pour l’étude de tout et n’importe quoi et qu’ils seront invariablement justes à l’avenir. Nous devons également être prêts à rejeter un outil s’il s’avère que celui-ci est inadéquat pour une analyse honnête.
L’histoire nous a plus que montré que les outils d’analyses sont formellement imbriqué à la morale dominante et que la morale est changeante dans l’espace et le temps.
Ainsi s’auto-analyser et analyser nos outils, notre critique à l’aune de ces biais est indispensable dans la volonté de former une critique objective.
L’idée même de supposer que nos outils puissent être erronés peut amener à une critique constructive…. Surtout pour nous, en fait, puisque cela amène à une réflexion personnelle et/ou collective sur l’entretien d'une domination.
-Et enfin le dernier mais pas des moindres : il faut évaluer l’ensemble des oppressions dans une société donnée et la façon dont elles interagissent et s’entretiennent mutuellement. De même il est impératif que nous réfléchissions à la manière dont nous avons participé/participons éventuellement à l’entretien de ces oppressions, dans le passé comme le présent, afin qu’à l’avenir nous puissions objectivement combattre *ensemble* la fin des dites oppressions.
Voilà quelques pistes de réflexion qui t’aideront à voir plus clair, j’espère.
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