@Mackerly
Coucou
Alors je suis féministe et il s'avère aussi que j'enseigne l'histoire littéraire dans une fac. Les problèmes méthodologiques que nous rencontrons en histoire littéraire sont les mêmes qu'en histoire de l'art, c'est pour cela que je me permets de te répondre.
Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte :
- aucun.e prof de fac n'est entièrement responsable de son programme. Enfin ça dépend de la fac, mais c'est très rare. Le plus souvent, nous héritons d'un cahier des charges, qui peut être plus ou moins précis. Nous devons faire avec ce cahier des charges, qui ne va pas toujours dans notre sens. Je dois ainsi travailler sur certains auteur.es que je n'aurai pas nécessairement choisi, par exemple des auteurs masculins - ce qui laisse d'autant moins de place à des auteures féminines que j'aurais pu choisir moi. Bref, ta prof n'a peut-être pas le choix ou pas entièrement de son programme
Parfois les étudiant.es pensent qu'un.e prof de fac est tout-puissant sur son cours, mais dans la pratique ce n'est pas du tout le cas ^^
- ensuite, enseigner l'histoire des arts / l'histoire littéraire, c'est très compliqué. Tu dois forger une sorte de "culture" de références communément partagées par ta discipline. Et il s'avère que cette histoire a.... une histoire. C'est-à-dire qu'elle a déjà fait l'objet de tris qui ont fini par consacrer la place des hommes. Tu peux choisir de présenter des artistes moins connu.es (dont font souvent partie les femmes), mais tu prends le risque de pénaliser les étudiant.es s'ils doivent, par exemple, passer des concours où tu sais que le jury va leur demander les "bases".
Personnellement, ça fait toujours bien chier, car je pense qu'on devrait bousculer une fois pour toutes les connaissances des gens et ne pas "répéter" ce qui a pu être fait dans le passé. Mais justement, quand tu enseignes une matière comme l'histoire littéraire, tu n'enseignes pas que pour toi. Souvent cette matière a un rôle dans le cursus total des étudiant.es, à l'échelle de la maquette (TOUTES les années d'études, car on conçoit les maquettes "en harmonie" depuis la L1 jusqu'au M5, même si c'est pas toujours très harmonieux
) Du coup, dans certains cours, tu finis par déterminer qu'ils doivent absolument aborder certaines questions / certain.es artistes, car cela ne sera pas abordé dans les cours suivant. Je te donne un exemple : en L1 le cours d'histoire littéraire peut être plus centré sur les hommes auteurs d'une époque, mais c'est parce qu'en L2 tu as une option sur les femmes artistes de la même époque. Tu vois ? Du coup, comme tu ne suis ce cours qu'à côté des tes études, tu ne peux pas nécessairement le voir.
- Ensuite, ben, des contraintes techniques / financières... Les cours en "histoire de" sont souvent très peu dotés en heures. On peut nous réduire le nombre de séances, ou le nombre d'heures par séances, au motif que "oh bah l'histoire littéraire y a qu'à résumer". Je me suis retrouvée avec des cours d'1h au lieu d'1h30 avec mes étudiant.es. Du coup il a fallu condenser. Or, en condensant, devine qui saute ? Souvent les textes de femme, parce que c'était un peu "la cerise sur le gâteau". Je ne dis pas que cela devrait être comme cela, je dis juste que les contraintes matérielles t'obligent à faire des choix drastiques. Quand tu donnes un cours d'histoire littéraire du 18e siècle pour des étudiants qui vont continuer des études de Lettres, et que tu dois choisir entre supprimer une séance sur Diderot et une séance sur Émilie du Châtelet, même si personnellement j'adore Émilie du Châtelet, devine qui saute ?
Si on avait le temps et le budget nécessaire, on pourrait mieux concevoir nos cours. Mais je ne vais pas te faire un topo sur l'état financier actuel de l'université française
- enfin, sur le devoir personnel... Sa justification n'est pas si "pourrie" ; ça peut être TRÈS compliqué de laisser un.e étudiant.e faire un devoir personnel ; il faut vérifier dans les statuts du cours que tu as le droit de faire ça (statuts qui sont votés par le département de ta fac l'année qui précède l'année du devoir !). Et ensuite, ça peut être chiant, car ça veut dire préparer un corrigé particulier (tu ne peux pas bien corriger un devoir sans faire un corrigé) (c'est très long de faire un corrigé) ; si tu l'autorises pour un.e étudiant.e tu dois l'autoriser pour tout le monde par souci de justice, et ça peut vite devenir ingérable ; et peut-être que ta prof a autre chose à faire à cette période du semestre (les profs de fac sont quasi tou.te.s enseignant.e.s ET chercheurs.ses). Personnellement, j'autorise les étudiant.es à choisir un sujet dans les cours où c'est permis (pas tous !), car j'aime les voir travailler sur quelque chose qui les intéresse, mais clairement cela me donne une surcharge (non payée) de travail.
Voilà, j'espère que ces quelques remarques auront pu t'éclairer sur ce que tu dénonces, qui est effectivement un peu sexiste mais qui demande vraiment à être remis en contexte dans le fonctionnement ultra complexe de l'université
Dans mes cours, je fais toujours attention à ce qu'il y a au moins quelques auteures femmes. J'essaye aussi de faire réfléchir les étudiant.es d'histoire littéraire autour des notions "d'histoire majeure" et "d'histoire mineure" ; savoir pourquoi l'histoire littéraire consacrée à exclu les femmes de son corpus, ce qui a fini par les catégoriser comme "mineures" alors qu'elles ne l'étaient pas. Mais cela exige une formation particulière en épistémologie de l'histoire des disciplines (dont tout le monde ne bénéficie pas).