Je ne trouve pas que Tiphaine soit "riche" non plus, et je dis ça alors que l'année passée, je gagnais moins du quart de son salaire tous les mois (et en trimant en plus).
Elle a un train de vie confortable et si on compare ses revenus à la moyenne des Français, c'est clair qu'elle est très bien lotie. Pour autant, du point de vue sociologique, Tiphaine n'est pas "riche", parce qu'être "riche" ça implique bien plus que les revenus eux-mêmes. Les vrais "riches" ont non seulement du capital économique, mais aussi du capital culturel, social et symbolique. Or, vu ce que Tiphaine dit sur ses parents et plus généralement sur son entourage, elle me parait singulièrement dépourvue des deux derniers :
-parents issus de la classe populaire
-pas de transmission de ce qu'elle appelle une "culture financière" (j'imagine que par là elle se réfère au fait de tenir un budget, d'épargner, de faire des placements, bref de capitaliser).
-sentiment de décalage vis-à-vis de proches qui eux, doivent être bien pourvus en capital social et capital symbolique
-aucun autre propriétaire dans sa famille
-soutien financier apporté à son père
Plus généralement elle a une gestion scrupuleuse de son argent (coupons de réduction, cashback, promo...).
Donc Tiphaine a certes des revenus confortables, mais elle n'a pas bénéficié des divers capitaux de ses parents pour se faire une place dans la société et aucun patrimoine ne lui sera transmis. Ca n'est pas une "héritière", contrairement aux enfants issus de la bourgeoisie qui sont convaincus d'avoir réussi grâce à leurs efforts, alors que tout leur est tombé tout cuit dans le bec : les bonnes écoles, les vacances autour du monde, les relations de papa et maman, l'entreprise familiale, les œuvres d'art, les biens immobiliers, etc. En bref, Tiphaine n'est pas une bourgeoise, c'est une transfuge de classe, et ça se perçoit aux moqueries dont elle dit être l'objet et au sentiment d'illégitimité qui transparait à travers son témoignage. Récemment j'écoutais un épisode du podcast Les pieds sur terre, sur une bourgeoise déclassée qui à cause de mauvais choix financiers, se retrouvait sur la paille à l'âge de la retraite. Ben même en étant réduite à cuisiner sur un réchaud dans une chambre de bonne avec des toilettes sur le pallier, cette femme est encore 1000 fois plus bourge que Tiphaine. Parce qu'elle maitrise les codes de la bourgeoisie : elle sait parler comme une bourgeoise, elle sait se tenir comme une bourgeoise, elle sait s'habiller comme une bourgeoise, elle sait décorer son intérieur comme une bourgeoise, elle sait recevoir comme une bourgeoise, etc. Elle a même sorti un bouquin pour "cuisiner comme une bourgeoise" et il me semble que c'est une de ses relations qui mettait son appart à sa disposition pour lui éviter la rue. Une femme comme ça, même sans avoir un rond, elle serait comme chez elle au Ritz par exemple. Alors que Tiphaine, quand elle va manger une pâtisserie de Cédric Grollet, à mon avis il y a fort à parier qu'elle est dans ses petits souliers (ou en tout cas, elle doit s'estimer extrêmement privilégiée).
Tout ça pour dire que Tiphaine ne vit pas d'un capital qu'on lui aurait transmis et qu'elle continuerait à faire fructifier en exploitant le prolétariat. Du coup je trouve que ça ne sert pas à grand chose de se défouler sur des gens comme elle, de leur faire la morale, ou de leur reprocher leur manque de sens des réalités. Au bilan, peu importe où elle se situe dans l'échelle des salaires, sur le plan sociologique, elle est plus proche de "nous" que des vrais "riches". Quoi qu'on pense de ses choix de consommation, ça n'est pas elle l'ennemie en fait. Ca n'est pas elle qui bénéficie des réformes visant à faire ruisseler l'argent, donc ça n'est pas pour elle qu'on détruit le service public. Les vraies personnes à abattre ce sont les gens qui vivent du capital et à qui Macron fait des cadeaux. C'est eux qu'il faut forcer à redistribuer leurs revenus et à qui il faut retirer le droit d'exploiter le vivant.
Sinon je partage cette interview de Monique Pinçon-Charlot qui resitue bien ce qu'est la "vraie" richesse :