Une autre chose : on est aussi dans une époque où les mots sont complètement dévoyés. Maintenant si t'es pas d'extrême gauche t'es de droite (j'ai littéralement vu sur ce forum des messages disant que Hidalgo et Jadot étaient de droite), et quand il y a des dérives autoritaires on vit dans un régime fasciste. Donc si on a déjà un président fasciste, pourquoi avoir peur de l'extrême-droite ?
Je cite ce passage en revenant en arrière car je l'avais trouvé très pertinent!
J'en profite pour rebondir un peu sur ça et poursuivre un peu ma réflexion sur le côté formation politique des militants et autour de la notion de populisme de gauche et ses conséquences lancée par
@Pipistrelle. Je suis désolée, ça va être un peu fouilli, j'essaye de clarifier ma pensée au fur et à mesure que ce topic avance
Je vois depuis quelques jours des personnalités très anti-macronistes sur Twitter qui jugent grave que certaines personnes de gauche envisagent de voter Le Pen, et rappellent à quel point Le Pen est dangereuse voire disent clairement que Le Pen et Macron, ce n'est pas le même niveau de dangerosité. Parmi les exemples auxquels je pense, on a Philippe Poutou, qu'on ne peut vraiment pas accuser d'être pro-ultra-libéralisme, son parti s'appelant littéralement Nouveau parti anticapitaliste, on a aussi la militant Sihame Assbague, à l'origine du camp d'été décolonial et qui critique quasiment quotidiennement les politiques racistes de Macron, ou encore Taha Bouhaf, le jeune journaliste très engagé dont la carrière a été boostée pour ses scoops très défavorables à Macron, notamment l'affaire Benalla.
Hé bien sous CHACUN de messages de ces personnes sur les réseaux sociaux, on voit une horde d'Internaute les insulter. On pourrait penser que ce sont des fachos pas contents mais NON, ces internautes ont globalement l'air de s'identifier à gauche! Ils les accusent d'être vendus à Macron, d'être coupables de complaisance, d'être des collabos du capitalisme. J'ai lu des messages hallucinants du style "il faut vous réveiller et arrêter de croire à la propagande macroniste, vous êtes totalement envoûtés". Alllllllôôô tu dis ça à des militants qui ont passé les cinq dernières années à dénoncer sans relâche ce que faisait Macron, qui ont pour certains eu des ennuis avec la justice à cause de ça, qui se font dénigrer par toute une partie des intellectuels et personnalités influentes à cause de ça... et tu penses qu'ils sont vendus à Macron?
Je trouve qu'il y a quelque chose de très inquiétant dans ces réactions parce que MEME des figures qu'on peut estimer avoir un engagement plutôt radical contre le gouvernement actuel, qui ont démontré de manière constante et hyper investie leur opposition à l'ordre du monde tel qu'il est, sont aussitôt dénigrées et accusées de collaborer dès qu'elles ne tiennent plus le discours souhaité. Et c'est un volte-face assez violent, parce que je suis sûre qu'une partie des internautes qui les insultent aujourd'hui partageaient abondamment leur discours quand ça allait dans leur sens hier. C'est donc un phénomène assez différent du débat politique, car dans un débat politique, on ne considère pas du jour au lendemain que nos idoles sont des collabos parce qu'ils ont dit un truc qu'on aime pas : normalement, on se dit que si jusque là on était d'accord, c'est qu'il y a une discussion à avoir, pas qu'ils ont tort et qu'on va les blacklister.
Donc j'en reviens à l'histoire de la culture politique et de la formation militante. Je ne sais pas si ça vient du fait que beaucoup de sympathisants de gauche se sont formés aux idées de gauche sur Internet et ont donc fait de manière un peu virtuelle voire individualiste puisque même si on trouve d'autres personnes dans lesquelles on se retrouve, on ne se sent pas aussi connectées personnellement à elles que dans la réalité, donc on peut les déclarer comme cancelled beaucoup plus facilement qu'une personne de chair et de sang avec qui on milite depuis longtemps et avec qui on a des désaccords.
En tout cas, je constate vraiment cette tendance chez une partie des militants qui se déclarent sympathisants de La France Insoumise.
J'ai lu des appels à mieux former les militants LFI, notamment en tout ce qui concerne l'action et la culture politique, et des sympathisants disaient "ça va pas la tête, vous voulez nous formater?" en gros.
Et je trouve que ça rejoint un peu le discours des réseaux sociaux de certains sympathisants LFI. Pour convaincre, ils parlent beaucoup du "programme" de Mélenchon qui serait supérieur en tous points aux autres, vont citer différents points pour te prouver que vraiment tu as tort, mais à chaque fois, je trouve le système politique qui sous-tend ce programme assez imprécis dans le discours de ces militants, et de manière assez généralisante ils qualifient tous les partis de gauche moins à gauche de partis de droite, sans spécialement avoir un argumentaire très clairs à part "c'est évident ils sont à droite, tel truc qu'ils disent est capitaliste ou ils ont fait ça". Comme si qualifier quelqu'un avec qui on est en désaccord de "personne de droite en réalité", ça suffisait à le disqualifier.
A côté de ça, on a des partis d'extrême-gauche comme NPA qui disent en substance des choses similaires sur les partis de gauche comme le PS, mais l'argumentaire ne se joue pas tellement sur une sémantique gauche/droite, mais plus sur une idéologie générale et un système de pensée qui me parait souvent plus structuré. C'est pour ça que personnellement, je ne considère pas qu'Anne Hidalgo est à droite par exemple, mais ça ne me choque pas qu'un parti comme NPA ne la considère pas comme une alliée possible. Je comprends totalement en quoi c'est incompatible avec une idéologie radicale cohérente : c'est une réflexion politique poussée qui mène à ce constat. En revanche, juste dire "elle est à droite, il faut dire les choses comme elles sont!" comme le font certains militants de gauche moins radicale, ça me parait assez simpliste, et ça me parait évacuer toute nuance et toute réflexion politique de fond.
Je pense que cette histoire de culture politique et de formation militante, c'est important pour éviter cette notion de populisme de gauche décrit dans les articles de
@Pipistrelle. J'ai vu des critiques disant que parler de cette culture/formation, ça excluerait les classes populaires, ce serait condescendant. Mais en réalité, écoutez Philippe Poutou. C'est pas un tribun de fou avec une grande éloquence qui fait penser à un grand intellectuel français. Quand on l'écoute, on ne se dit pas quel mec méga cultivé!, dans le sens culture élitiste, il ne construit pas ses phrases de manière forcément hyper recherchée qui lui permettrait de briller en entrant à l'oral de Sciences Po. Par contre, quand on l'écoute, on voit bien qu'il a une pensée parfaitement construite et articulée, qu'il sait exactement de quoi il parle politiquement, qu'il a une position claire et réfléchie. On n'a pas du tout besoin d'avoir "de la culture" pour avoir une culture politique solide ou une haute éducation pour avoir une formation militante bien ficelée.
Et Philippe Poutou est un bon exemple car il vient du syndicalisme. C'est un milieu que je connais plutôt bien car mon précédent emploi m'a menée à travailler avec pas mal de syndicalistes (et je ne parle pas de syndicalistes très politiques et prestigieux comme les Secrétaires généraux qu'on entend dans les médias, mais vraiment les syndicalistes de terrain). Le syndicalisme, ça forme à l'action en groupe. Quand y milite, on doit accepter que parfois, on va avoir des opinions un peu divergentes avec les personnes qui bossent avec nous, que certaines causes qu'on porte prendront du temps à être entendues.
Si les opinions sont trop divergentes avec les gens qui militent à nos côtés, on change de syndicat. Si ce sont des divergences acceptables, ça fait partie du jeu démocratique et le mieux qu'on puisse faire sera d'essayer de convaincre les autres sur le long terme d'adopter notre point de vue.
Certaines branches syndicales ont aussi une vraie tradition de transmission. J'ai rencontré des syndicalistes qui doivent avoir 50 ans et qui avaient commencé jeunes. Eux-mêmes n'avaient pas connu les périodes historiques de luttes syndicales, mais ils ont commencé le syndicalisme avec des gens qui avaient participé à ces luttes et qui leur ont transmis cet esprit, cette tradition qui a mené à de grandes avancées. A leur tour, ils racontent les histoires des gens avant eux, transmettent cet esprit et cette tradition aux jeunes de 20 ans qui rejoignent le syndicat. Il y a un vrai aspect générationnel, un lien ancré dans le réel qui donne un sens de la communauté qui fait qu'on ne se détourne pas en une phrase de son camarade de lutte.
Les syndicats forment aussi régulièrement leurs membres, que ce soit aux résolutions prises, aux méthodes d'action syndicale, au droit du travail, etc. Ce qui fait que des travailleurs peu diplômés issus de milieux populaires peuvent avoir les outils dont ils ont besoin pour se positionner politiquement et agir de manière structurée.
Normalement, les partis politiques sont censés être comme ça aussi, mais comme l'engagement politique est souvent plus superficiel que l'engagement syndical puisque c'est un engagement un peu plus général (tout citoyen vote et sait qu'il peut voter, la présence de syndicat dans son secteur d'activité est moins claire), je ne sais pas si tous les partis forment de manière aussi rigoureuse leurs militants, et notamment la France Insoumise.
Bref, je pense que les réseaux sociaux ont permis de booster l'engagement politique de certains, de promouvoir certaines idées progressistes à grande échelle, mais en même temps, ça a peut-être paradoxalement cassé une partie du lien nécessaire à une action politique efficace, ce qui fait que les mouvements politiques peuvent s'écrouler comme un château de cartes à la moindre méfiance.