Je ne supporte pas les madeleines de Proust indésirables. Tous ces petits détails de la vie quotidienne qui, sans que rien ne le laisse présager, te renvoient subitement en pleine figure le souvenir de quelque chose à quoi tu mets un point d'honneur à ne plus penser, pour te préserver. Enfin je ne sais pas vous, mais il y a des moments où quand j'ai passé trop de temps à me morfondre sur un sujet et à ressasser sans que rien ne bouge, je finis par décider que j'arrête d'y penser. En fait je ne jette pas le sujet à la poubelle, mais je le range dans un tiroir virtuel que je m'efforce de ne plus ouvrir. D'ailleurs vu comme ça c'est vraiment une démarche active que d'évacuer ces pensées qui ne servent à rien et ne font pas du bien, c'est « se concentrer pour ne pas penser à quelque chose », c'est presque paradoxal
. Mais au bout d'un moment ça porte ses fruits, on prend l'habitude de ne plus y penser et la démarche se fait de moins en moins active et de plus en plus « spontanée » (j'ai l'impression de parler en chinois là
).
Mais alors quand tu en arrives au stade où tu réussis à prendre de la distance par rapport à cette pensée stérile, que tu es donc plutôt sereine, et qu'à un moment fortuit, un misérable détail vient ruiner ton travail d'abstraction, je trouve que c'est le comble de la frustration. C'est lourd de se dire que ça ne tient vraiment pas à grand chose et que malgré ta bonne volonté, parfois les éléments extérieurs te tendent des perches pour être nostalgique ou pensive alors que tu allais très bien l'instant d'avant.
En fait je parle des madeleines de Proust mais ça va encore plus loin, c'est pas juste des goûts ou des odeurs, ces petits éléments perturbateurs peuvent se nicher partout. Ça peut être un parfum qui passe et qui te renvoie instantanément à quelqu'un mais ça peut aussi être la mention d'un sujet qui te fait penser à une conversation que tu as eue, une chanson qui te rappelle une situation très précise, un visage qui te semble hyper familier jusqu'à ce que tu réalises que s'il t'intrigue tant c'est parce que tu y retrouves les expressions d'une personne à laquelle tu t'étais promis de ne plus penser... Et voilà, rien n'a changé mais il y a eu ce fichu détail qui est venu remettre à la surface un souvenir que tu avais pris soin de laisser au fond.
Je trouve ça irritant parce que j'ai l'impression que tu ne peux pas te prémunir contre ces choses-là, on ne commande pas les associations d'idée, on ne peut pas lutter contre le fonctionnement en domino des souvenirs... Ou alors on est dans un monde où le
procédé Lacuna existe, et dans ce cas-là c'est quand même assez triste
Voilà, ça m'énerve. Autant j'adore les madeleines de Proust « heureuses », celles qui te font des clins d’œil qui te réchauffent le cœur, autant celles qui te tirent la langue et qui retournent le couteau dans la plaie, je les trouve vraiment vicieuses.
EDIT : Punaise je radote à mort