Dans le genre, Jay Kristoff est accusé aussi d'avoir repris des rites maoris. Ça par contre, j'admets que c'est plus tendax. Mais ce qui me choque le plus, c'est que cet auteur se fait taper sur les doigts alors que les réalisateurs de Teen Wolf ont complètement piétiné un mythe d'origine d'amérique du sud, l'ont fait avant (avec le kanima, qui est censé être un jaguar et non un serpent )... Et ça ne choque personne !
Je ne connais pas cet auteur, mais je viens de jeter un oeil et je pense que ça va au-delà de la réappropriation d'un mythe à la sauce fantasy. Si je comprends bien, le peuple décrit dans le livre n'a pas un portrait flatteur et l'auteur a déjà revendiqué qu'il s'inspirait des Maoris.
Or, Jay Kristoff est Australien, c'est-à-dire que son premier lectorat va être des lecteurs Australiens et Néo-Zélandais. Donc en gros, les deux grands pays colonisateurs occidentaux en Polynésie, les Maoris étant un peuple polynésien (si l'on met de côté la France et les US qui ont des îles polynésiennes mais ce sont des cas un peu différents). Sachant en plus les Maoris sont originaires de Nouvelle-Zélande et que de nombreux Maoris ont émigré en Australie, pays qui oppresse son propre peuple autochtone (les aborigènes) qui a tissé des liens militants étroits avec son voisin colonisé le peuple Maori, c'est quand même une problématique très spécifique. C'est critiquable de dépeindre un peuple de manière stérotypé dans n'importe quel pays, mais disons que si un Espagnol écrit plein de clichés dans son bouquin sur les Maoris pour un public espagnol, ça n'aura clairement pas le même impact que si un auteur australien ou néo-zélandais fait ça.
Donc si je comprends bien, la problématique plus que l'appropriation culturelle dans le cas que tu mentionnes, c'est le fait d'entretenir des stérotypes néfastes pour le peuple dont on s'inspire.
Et en parlant de la région Pacifique, ça me fait à un bouquin français qui a gagné je ne sais plus quel prix prestigieux il y a quelques années,
Ce qu'il advint du sauvage blanc. J'ai lu le livre et je l'ai trouvé vraiment génial sur le coup, c'était inspiré d'une histoire vraie fictionnalisée, sur un marin français qui est abandonné sur les côtes australiennes au 18e siècle, est recueilli par une tribu aborigène et retrouvée par les Européens plusieurs décennies plus tard.
Toutefois, du fait de mes connaissances féministes, de mes études en sciences humaines et de ma bonne connaissance de l'histoire de cette région à cette époque, un truc m'a fait tiquer dans le livre. A un moment, l'auteur évoque une scène de viol (très rapidement, je précise que ça ne m'a pas du tout trigger ou quoi) entre aborigènes dont est témoin le mari français et il présente le viol comme quelque chose de normal dans la culture aborigène de cette époque, mais à l'inverse quelque chose qui horrifie le marin blanc du 18e siècle. Ce passage a commencé à vraiment me faire douter du sérieux du livre, parce que j'avais du mal à croire que le viol était culturellement banalisé chez les Aborigènes et qu'à l'inverse, il choquait l'Européen. En gros, selon l'auteur du bouquin, la société aborigène était bien plus sexiste et misogyne que la société française du 18e siècle, et ça me paraissait un poil douteux. A ce moment, j'ai vraiment eu l'impression que c'était une représentation raciste du peuple en question car ce sont "des sauvages", n'est-ce pas?
Quand j'ai fini le livre, j'ai vérifié différentes choses et je me suis rendue compte qu'effectivement, cette description des rapports genrés chez les Aborigènes d'Australie du 18e siècle était empreinte de stéréotypes multiples MAIS SURTOUT qu'en réalité, l'auteur avait raconté N'IMPORTE QUOI, et qu'il le revendiquait. Il revendiquait n'avoir fait "aucune recherche" car "c'est une fiction" et il voulait laisser "parler son imaginaire". Dans plusieurs interviews, il expliquait que de toute façon, il avait été diplomate en Nouvelle-Calédonie et ailleurs, et il connait donc très bien la région, notamment les peuples Polynésiens. Sachant que les Aborigènes ne sont pas Polynésiens, et que ces deux groupes sont très différents culturellement même s'ils vivent dans la même région du monde, ça m'a vraiment choquée de lire ça.
Ce qui m'a choquée plus que la réappropriation d'une histoire australienne totalement fantasmée, c'est surtout qu'il a décrit un peuple réel de manière très nocive, notamment en les présentant comme des sauvages qui violent les femmes sans sourciller. Ce genre de représentation est exactement ce qui a contribué à "justifier" la colonisation blanche en Australie et dans le Pacifique, et qui contribue encore aujourd'hui à justifier de nombreux actes post-coloniaux : vous comprenez, ce sont des sauvages, il faut les civiliser, notamment pour protéger les femmes. Donc en décrivant les Aborigènes de cette manière dans son bouquin, l'auteur contribuait à entretenir ces mythes et stérotypes qui alimentent le post-colonialisme.
Alors bien sûr, ce bouquin avait la particularité de se vanter d'être "inspiré d'une histoire vraie" et de se passer dans un vrai pays, ce qui peut plus facilement entretenir la confusion chez le lecteur. Honnêtement, si je ne connaissais pas aussi bien la thématique abordée dans le livre, j'aurais cru qu'il décrivait une réalité historique et anthropologique, parce que son écriture était super convaincante et que j'ai été bercée de ce genre de croyances sur les peuples non occidentaux. Donc sur ce point, c'est un peu différent du cas de Jay Kristoff.
Cependant, en France, on n'aurait jamais deviné qu'un auteur s'inspirait des aborigènes d'Australie s'il n'y avait pas écrit clairement "ce sont des Aborigènes d'Australie", car on ne connait pas bien ce groupe culturel. Mais des Australiens et des Néo-Zélandais sont tout à fait capables d'identifier des références aux Maoris et de les intégrer comme négatives si elles sont dépeintes comme négatives, puis de les associer aux Maoris. C'est pourquoi même dans un monde de fantasy, quand on utilise des éléments connus concernant un peuple très identifiable par le public (là de ce que j'en lis, je pense que n'importe quelle personne vivant dans la région Pacifique ferait immédiatement le rapprochement entre le peuple inventé par Kristoff et les Polynésiens/Maoris : un peuple de navigateurs tatoués, au physique imposant, à la peau mate, on ne fait pas moins subtil!), c'est néfaste au-delà de la réappropriation. Même si on sait que c'est un univers inventé, ça renforce l'image qu'on se fait du peuple en question, et si cette image a été utilisée pour opprimer ce peuple, je pense que c'est toxique en soi. Et si je comprends bien, Jay Kristoff a justement décrit son peuple inspiré des Maoris comme violeur de femmes!
En ce qui concerne la Kanima de Teen Wolf, ça fait longtemps que je n'ai pas vu la série, mais si je me souviens bien, c'est surtout un élément hyper précis qui a été repris en mode réappropriation culturelle, mais on ne peut pas spécialement le rattacher à un peuple existant et en tirer des conclusions négatives sur ce peuple. Je pense donc que c'est une problématique différente, de même que le prénom de Cho Chang. Je ne dis pas que c'est OK de faire ce qu'on veut avec la culture des autres, juste que ce sont des enjeux différents qui expliquent peut-être que les critiques ne soient pas les mêmes. Pour ce qui est des gobelins, ça pourrait à la limite rentrer dans le cadre de ce que je décris mais franchement, je suis incapable perso d'expliquer le côté antisémite de ces persos, et surtout, je ne pense pas que le lectorat cible de Harry Potter (aka des enfants et des jeunes gens encore supposément peu exposés aux thèses avancées d'extrême-droite) soit capable de faire le rapprochement entre les caricatures traditionnelles antisémites et les gobelins, et encore moins à identifier les gobelins comme juifs, donc j'aurais tendance à dire que c'est encore un cas différent