la responsabilité russe est déjà très bien explicitée, tellement bien qu'on en oublierait presque qu'ils sont plusieurs à se faire la guerre...
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Sans doute parce qu'ils ne sont pas plusieurs à se faire la guerre
Aucune armée étrangère n'est actuellement engagée en Ukraine à part la Russie, et encore une fois, on est bien loin d'un affrontement mutuel entre deux armées.
@CCCC : l'article que tu as cité passe à côté de beaucoup de choses quant à la rhétorique de Poutine sur la "dénazification".
La première chose à réaliser, c'est que pour les Français, seconde guerre mondiale = camps de déportation. En tant que
guerre, elle a en fait relativement peu touché la France, qui a très rapidement capitulé et collaboré activement avec les nazis. Bien sur, il y a quand même eu des combats, des victimes, la Résistance et tout ça, mais globalement, si on te demande au nom de quoi tu condamnes le régime nazi, tu vas pas répondre "parce qu'ils ont envahi la France", tu vas répondre " à cause des camps d'extermination".
Ça n'a jamais été le cas côté soviétique.
Les combats y ont été beaucoup plus durs, longs, lourds en perte humaine y compris dans la population civile avec des sièges traumatisants, des exactions, une population globalement mobilisée pour défendre sa survie. Mais la mémoire des camps d'extermination est assez peu présente. D'ailleurs, en Russie, on ne parle pas de la Seconde Guerre Mondiale, mais de la Grande Guerre Patriotique. Non seulement les soviétiques se sont défendus héroïquement contre un envahisseur qui s'en prenait à l'ensemble de la population, mais ils ont réussi à renverser le gouvernement nazi, aux côtés de leurs alliés de l'époque qui ont payé un prix beaucoup moins lourd qu'eux pour y parvenir. La victoire contre le nazisme était quand même attribuée davantage aux soviétiques qu'aux Américains après la fin de la guerre. Ceci leur a gagné un rôle de premier ordre sur le plan international, avec un siège (et droit de veto) au conseil de sécurité de l'ONU. Je sais pas si j'arrive vraiment à rendre sensible la différence de perception, mais réellement, la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale en France et en Russie, ça n'a pas grand-chose à voir, même sans aller chercher du côté de l'extrême-droite.
Pendant ce temps-là en Ukraine, l'armée insurectionnelle ukrainienne qui luttait pour l'indépendance du pays a vu dans l'avancée des nazis une possibilité de trouver des alliés face au pouvoir soviétique, d'où le choix de son leader Stepan Bandera de se ranger du côté des nazis en échange de leur promesse d'accorder son indépendance en Ukraine. Il s'est avéré que Hitler n'a jamais eu l'intention de tenir cette promesse et Bandera a fini par être lui-même déporté par les nazis, mais c'est un passage de l'histoire ukrainienne qui laisse une trace, on va dire, ambiguë et clivante dans les mémoires. Il y a une partie de la population ukrainienne qui préfère retenir de Bandera la figure de proue de la défense de l'indépendance face à un pouvoir soviétique ayant, on ne le répètera jamais assez, commis un génocide en Ukraine, et laisser sous le tapis la partie "en cherchant des alliés côté nazi". Voire on trouve des groupuscules d'extrême-droite qui assument très bien le lien avec le nazisme de leur idole et qui le revendiquent.
Dans les discours de Poutine qui affirmaient vouloir "dénazifier" l'Ukraine, il mentionne parmi les ennemis abattus des "néo-nazis et ultra-nationalistes" selon la traduction française; il parle en fait pour citer les termes précis de "néo-nazis et banderistes" (et aussi de drogués, parce que ça fait peur à la frange conservatrice russe

).
Le moment de la révolution de Maïdan en Ukraine, immédiatement suivie de l'annexion de la Crimée et de la guerre dans le Donbass, a aussi été le moment d'une forte montée de l'autoritarisme en Russie. Parmi les actions de propagande du gouvernement Poutine, on peut citer les immenses célébrations-anniversaires de la victoire de la Grande Guerre Patriotique. Cet épisode de l'histoire a été surexploité pour faire renaitre le sentiment national russe, en même temps que l'Ukraine était assimilée aux banderistes (l'archétype du Traitre pour l'Union soviétique).
Pour la petite histoire... les nostalgiques de l'Union soviétique et nationalistes russes avaient notamment pris comme symbole de la célébration de la victoire sur le nazisme les rubans rayés noir et orange correspondant à une ancienne décoration militaire, d'abord tsariste, puis soviétique. Au moment de l'annexion de la Crimée, les Ukrainien.ne.s choisissaient de manifester leur loyauté au gouvernement de Kiev en arborant des rubans aux couleurs de leur pays (bleu et jaune); ou leur attachement aux liens avec la Russie en arborant des rubans orange et noir. Je vivais à ce moment-là dans une région russophone d'Ukraine, et ai croisé un total de DEUX personnes portant un ruban orange et noir dans leur vie de tous les jours. Il y en avait un peu plus pendant les manifestations pro-russes, d'environ 300 personnes pour celle que j'ai vue, mais dont les médias russes ont dit qu'elles étaient 300 000. Il y avait aussi dans certains quartiers des slogans nationalistes et des symboles nazis qui sont soudainement apparus tagués sur les murs... orthographiés en russe. Ne pouvant pas imaginer des ultra-nationalistes ukrainiens choisir d'écrire en russe, je ne peux qu'en déduire que c'était l'oeuvre de militants pro-russes qui cherchaient à effrayer la population.
Bref, l'image du conflit que Poutine cherche à donner dans l'imaginaire collectif, c'est:
- la Russie est le pays qui a mis à bas le régime nazi parce qu'elle était la première puissance mondiale
- l'Ukraine est "une vague région de Russie" qui a trahi son pays en s'alliant avec l'ennemi nazi
- l'indépendance de l'Ukraine est l'oeuvre des héritiers de Bandera qui ont maintenant pris le pouvoir
- Poutine cherche à défendre les droits des populations russophones opprimées et à assurer leur sécurité dans le Donbass face à un gouvernement banderiste
- et bien entendu, son appel à l'armée ukrainienne à se retourner contre son propre gouvernement ne s'adressait pas réellement à l'armée ukrainienne, mais était un spectacle destiné à son public russe pour maintenir la légende qu'il a créée d'un pays asservi par des néo-nazis.
La question de l'oppression des juifs/par les juifs n'entre pas vraiment en compte dans tout ça, parce que l'association automatique "nazi/persécution des Juifs" existe en France, mais pas en Russie.