Ensuite pour moi le problème n'est pas qu'il faut avoir un langage plus simple. Oui certes ce langage n'est pas accessible à tous les niveaux d'études et à toutes les intelligences. Cependant, ça me semble important de faire exister dans la sphère intellectuelle la queeritude. D'exister dans les sphères dominantes socialement. Je pense que le problème est plus qu'on est beaucoup à privilégier ça au détriment d'actions concrètes, mais je pense que c'est important.
Tu mets le doigt sur une chose importante: le discours, souvent d'initié, prend peut-être un peu trop de place face aux actions concrètes.
On est suffisamment responsables je pense dans la communauté queer pour prendre nos responsabilités quand aux tensions internes. Et je pense personnellement que ça ne doit pas passer par un nivellement par le bas du débat intellectuel mais plutôt par une prise de nos responsabilités vis à vis de nos frères et soeurs queer plus fragiles d'un point de vue "intellectuel". Mais dernier ajout, je pense qu'une grande partie du problème serait résolue si on resolvait le problème d'échec scolaire des jeunes queers (plus fréquent notamment à cause des queerphobies)
Je suis pas très convaincue par la partie que j'ai mis en gras: déjà car ça me semble pas si pertinent, peut-on vraiment dire que le c'est à cause des queerphobies que le "débat intellectuel" n'est pas accessible à tous les LGBT+?
Je ne dis pas que ça ne joue pas, mais ça me dérange un peu que, face à du vocabulaire hermétique et des débats maniant des notions complexes la solution proposée ne soit pas de vulgariser mais "d'élever le niveau scolaire" des personnes qui ne comprennent pas tous à ces discours en l'état.
Comme si il ne fallait pas se remettre en question sur la forme produite par ces débats et préférer amener tout le monde à Bac+12 (je caricature) en rendant responsable les queerphobies pour l'échec scolaire et la non-atteinte de ce "niveau" intellectuel (je caricature encore) plutôt que de se mettre un coup de pied aux fesses pour traduire des notions en français et vulgariser des concepts complexes...
Bien sûr dans l'absolu la lutte contre l'échec scolaire c'est bien (quelles qu'en soit les causes), vouloir élever le niveau scolaire aussi, mais c'est pas super réaliste en l'état (là tout de suite maintenant) alors que la vulgarisation c'est quand même un poil plus simple à réaliser il me semble (mais encore faut-il réfléchir sur ses pratiques comme tu l'as bien souligné, et se bouger dans ce sens-là).
Je dis ça mais IRL je fais quasi-rien pour
(j'avais par exemple suivi une formation de SOS Homophobie pour intervenir dans les écoles, justement en vulgarisant ces sujets, mais je suis partie travailler à l'étranger juste après
)
Et sur le net à part faire ma pointilleuse sur telle ou telle notion / tel ou tel voc mal utilisé je fais pas grand chose non plus
Je reviens sur l’article qui a été posté l’autre jour par
@Sharon Stone parce qu’il y a des commentaires assez intéressants en-dessous qui m’ont fait réfléchir à mon propre positionnement vis-à-vis de certains discours. Une remarque un peu acerbe en particulier, qui disait en substance : « On dirait un truc écrit par un.e étudiant.e de première année qui vient d’assister à son premier cours sur les queer studies » et qui au final m’a fait sourire parce que… je me reconnais là-dedans, pour être honnête.
Et pour tout dire je m’inquiète parfois de passer moi-même pour une pseudo intello qui ramène sa fraise parce qu’elle a lu Judith Butler (ouais j’ai fini par m’y coller, d’ailleurs j’aime autant vous dire que j’ai sauté des pages mais sinon c’est marrant quand elle tacle Lacan
), ça colle vraiment pas à l’idée que je me fais de ce qui devrait se passer dans des espaces de discussions sur internet ou ailleurs.
Je veux parler du fait d’avoir recours à une terminologie très pointue, d’avoir quinze mille références académiques sous la main, de maîtriser tous les outils de la rhétorique, ce genre de choses qui d’une part possèdent un fort potentiel excluant pour les personnes qui n’ont jamais eu accès à un certain niveau d’éducation, et d’autre part contribuent à propager des discours quand même bien calibrés.
Je rajouterais que j'ai pas l'impression que les quinze mille références académiques, la maîtrise de la rhétorique, etc, soient garants d'une réelle compréhension de certaines notions, et surtout qu'elles servent à formuler des critiques pertinentes (cet article en est un bon exemple).
Ces discours servent aussi à dominer ce qui ne les maîtrisent pas, et je trouve que les dérives ne sont peut-être pas assez pointées du doigt: je pense à
ce petit débat sur la VPR concernant un comm' bien paternaliste mais avec du voc et des notions bien complexes en mode moi je sais, tellement que je suis trop intellectuelle pour avoir réellement écouté le contenu de ta vidéo meuf (
) : quand je vois que ce genre de comm' a plus de 200 pouces bleus (!) sur youtube je me dis que y'a un sacré problème avec ce type de discours, où on en vient à applaudir la forme, le discours-militant-intersectionnel-bien-comme-il-faut-avec-son-voc-pointu et on passe complètement dessus le fond (le contexte qui fait que ce comm' me semble plus être un foutage de gueule qu'autre chose).
Et bon je vais faire une critique "facile" (
) et bien caricaturale là encore mais entre les "références académiques" et les "références tumblr/twitter" il peut y avoir un fossé: je trouve ces outils cool en théorie car je pense qu'ils sont un formidable outil de vulgarisation (pour justement sortir de la nécessité d'avoir un certain bagage culturel et intellectuel) mais je n'ai en tête (car on retient bien sûr plus le positif que le négatif) que des exemples de discours académiques, de notions complexes liées aux études de genre, etc, (mal) tronçonnées, mâchées mais pas forcément bien régurgitées, etc. Et je pense surtout au fait qu'il est parfois mis sur le même plan "toutes" les réflexions des "concerné.e.s", mêmes celles pas très "réfléchies", avec des références plus pointues: le moindre mot, le moindre concept "nouveau" peut y trouver sa place pourvu qu'il soit (massivement) partagé, ce qui est cool pour sortir de l'obligation à produire des discours basés sur des études universitaires, mais parfois je trouve que ça manque carrément de recul, tel ou tel "nouveau" truc doit devenir "le" truc à adopter (je crois que je peux pas m'empêcher de soupirer quand j'entends certains "nouveaux mots" créés de toute pièce pour en remplacer d'autres mais fabriqués sans y réfléchir trop non plus) (coucou "gayciste"
).
Attention je ne dis pas que de nouveaux mots ne sont pas nécessaires, mais si on pouvait ne pas sortir du chapeau n'importe nouveau truc qui va forcément être adopté car c'est nouveau et ça remplace quelque chose de pas tip top, bah je trouve que ça serait peut-être mieux, ça manque de tri je trouve
Bref tout ça pour dire que ça me fait aussi m'interroger sur ma propre pratique du débat intellectuel car je n'ai pas forcément ces références intellectuelles (c'est peut-être pour ça que je tape sur les gens qui ne les vulgarisent pas ou mal
)
Et en même temps c'est assez paradoxal car je râle sur ça mais les discours s'apparentant à du n'importe quoi historique concernant l'histoire des LGBT+ de la part des concerné.e.s a tendance à m'agacer et parfois j'essaye de corriger les trucs faux.
Je trouve que d'une certaine manière on se complait parfois dans une vision "noire" de l'histoire LGBT+, et bien sûr sans dire que c'était un chemin parsemé de jonquilles et de papillons chevauchant des arcs en ciel, ça me fait tiquer les clichés que j'ai déjà lu / vu / entendu ça et là (sur le forum itou), concernant la dépénalisation de l'homosexualité en 1982 par exemple: j'ai discuté avec plein de monde qui pensait que du coup en France avant cette date les relations sexuelles entre hommes étaient formellement interdites dans tous les cas et du coup tombaient toutes sous le coup de la loi (non).
Idem concernant la déportation des homosexuels français en camp de concentration durant la Seconde Guerre Mondiale: j'ai entendu pas mal de trucs faux venant de LGBT autour de moi (pourtant militants et souvent bien calés question gender studies) sur le sujet quand Christian Vanneste parlait de "légende de la déportation homosexuelle": à partir du moment où des LGBT français racontent plus de conneries sur le sujet ("génocide/extermination des homosexuels par les nazis", "politique systématique de déportation en camps des homosexuels français", entre autres trucs historiquement tous aussi faux) que Vanneste je trouve ça un peu triste quand même
(article de
Libé,du
Monde et du
Post sur le sujet).
J'ai l'impression que ça relève d'une "mauvaise vulgarisation" qui n'est au fond qu'une fausse simplification: on préfère (se) dire "c'était interdit et puni par la loi" (même si c'est faux, c'est plus simple à appréhender) plutôt que "c'était pas vraiment interdit par la loimais c'est pas pour ça que par le passé les LGBT+ vivaient bien car voilà ce qu'il y avait concrètement comme insidieusement contre eux: ... et... et... et... et... et... et..., etc).
Sur des sujets encore malheureusement très actuels c'est parfois aussi la fête du slip chez les LGBT niveau trucs faux (oui, je pense au sujet du VIH chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes
)
Bien sûr je sais bien qu'on ne peut pas connaître très bien cette histoire si justement elle n'est pas (ou pas bien) enseignée, on retombe là sur le côté entre-soi du milieu universitaire, mais ça me chagrine un peu de voir que de très touffus concepts en anglais issus des gender studies sont maîtrisés, discutés, etc, par des gens qui, pour certains, sont complètement à côté de la plaque sur des sujets bien plus accessibles et moins "intellectuellement" compliqués concernant les LGBT
Dans
Gaycation il y a un détail que je trouve vraiment louable pour le coup, c’est qu’on va à la rencontre (entre autres) de personnes âgées et de personnes pas forcément militantes. La question de la différence de perception des droits LGBT+ d’un point de vue générationnel me paraît importante, en particulier, et me fait penser aussi au documentaire
Les Invisibles (nouvelle recommandation au passage), qui s’attarde justement sur des gens qui ont entre 70 et 80 ans avec un vécu et une façon d’interpréter les choses parfois bien différents des nôtres. C’est aussi une génération peu représentée dans les médias, et il me semble exclue de la plupart des mouvements communautaires (?). Pourtant quand on les écoute, on voit bien à quel point la vieillesse apporte encore son lot de difficultés quand on est pas hétéro et/ou pas cis…
Et ça me touche et me questionne de voir ces gens dont la parole est souvent ignorée au profit de jeunes plus armé.e.s politiquement parlant, qui maîtrisent de plus en plus le vocabulaire académique et savent s’en servir pour défendre leurs droits (ce qui est génial, j’ai aussi adoré entendre dans
Gaycation des ados trans poser des mots hyper clairs et assurés sur leur identité, clairement ce sont aussi des ressources qui aident beaucoup quand on essaye de s’affirmer), alors que je trouve qu’on devrait écouter plus attentivement ce qu’iels ont à nous dire.
Et par rapport au vocabulaire, si une personne a passé toute sa vie à subir la discrimination et les violences queerphobes, mais n’a jamais appris des termes comme « transgenre » ou « queer » ou que sais-je, je pense qu’on est d’accord pour dire que ça n’invalide pas son expérience pour autant. De même, c’est parfois compliqué d’accepter que pour des gens qui ont grandi et vieilli à des époques où la société était bien différente d’aujourd’hui, où souvent on n’envisageait pas une seconde de voir son identité ou ses relations reconnues aux yeux de la loi ou d’être protégé.e d’un point de vue juridique, certaines de nos revendications peuvent paraître excessives, voire futiles.
Je ne sais pas trop où je veux en venir, mais j’ai cette impression qu’on (c’est-à-dire potentiellement moi-même) peut avoir tendance à dénigrer les gens qui font partie de nos communautés sans en maîtriser les codes, alors qu’iels y sont tout aussi légitimes. Et peut-être que ça joue de voir fleurir partout des termes et des approches tout droit sortis de bouquins de gender studies, peut-être que consciemment ou inconsciemment on empêche des gens dépourvus de ces codes de prendre part à des discussions qui les concernent aussi… Je m’interroge sur la meilleure façon de concilier l’utilité indéniable de certains concepts théoriques et la nécessité de ne pas tomber dans un discours élitiste peu accessible, en résumé.
Bref du coup ça me parle beaucoup tes réflexions, surtout quand tu parles des personnes âgées. J'y ai pensé récemment en visionnant
l'interview de Mathilde Daudet, qui est trans et a récemment raconté son parcours dans un livre: les mots qu'elle emploie (idem pour les clichés...) ne sont pas du tout du tout ceux employés dans les milieux militants trans et non-binaires que je lis ici et là, au contraire sont des mots et des réflexions condamnés comme transphobes si je ne m'abuse. Mais en même temps, vu son âge (60 ans), ça rentre tout à fait dans ta réflexion sur les différences de générations.
Après, là on retombe j'ai l'impression sur la responsabilité des médias à traiter ces sujets avec le bagage linguistique et conceptuel "actuel" (ce qui n'est que très très peu fait malheureusement).