Bon, j'ai relu notre échange et je me suis rendue compte qu'il y a eu des incompréhensions de part et d'autre. Je revenais bien sur les paroles de Hayot, plus que sur le jugement en lui-même.
Et puis, l'écrit fait que parfois le message est pas très clair (je vais éditer les coquilles qui ont traîné d'ailleurs) : je suis bien Martiniquaise
et Twelve Years, je l'ai bien aimé pour ce que c'était (le récit d'une destinée exceptionnelle mais dans un désert en terme d’œuvres et de documents grands public, donc un point de vue biaisé et finalement pas si vulgarisateur pour moi. Mais j'ai bien compris que tu tirais plus l'exemple particulier de l’institutionnalisation de la violence). Et puis, juste pour préciser, "béké", c'est plutôt typiquement martiniquais, en Guadeloupe, on parlera plus de Blans péyi.
C'est juste que l'adresse était parfois ambiguë, notamment sur la liberté d'expression/ce qu'on peut juger à titre individuel comme apologie de crime contre l'humanité/ offensant qui m'ont rappelé, à tort, la confrontation avec un type de point de vue sur les positions de CH qui cherche à s’imposer et qui me reste sur l'estomac (comme quoi, on en sort pas).
Je n'avais pas compris cela comme ça, je m'en excuse. J'ai cru que tu me reprochais de vouloir exiger de la Justice qu'elle bloque la parole à partir du moment où un propos pouvait être considéré injurieux. Mais quand même, ça n'empêche, très sincèrement, que je considère cette décision injuste, que ces propos restent profondément insultants et drainent une vision raciste, même euphémisée, même sans remise en cause explicite du caractère de crime contre l'humanité. Et je suis entièrement la conclusion de l'auteur que j'interprète comme suit : on a toujours la vision du dominant qui continue de manière ultra-soft à véhiculer une certaine idéologie ("l'esclavage des Noirs, ça a quand même été une superbe opportunité pour eux quand même, ça leur a donné de bons métiers), en l'absence de point de vue contradictoire pour rééquilibrer le tout. Pour autant, comme je l'ai dit, la chose est jugée et de toute façon, les motifs de contester des propos racistes et vomitifs ne manquent pas
C'est juste que c'est un énième signal qui s'ajoute à tout un ensemble de préjugés et d'affirmations qui traînent et qu'on a vu s’exprimer très librement lors du mouvement de grève emmené par le LKP sur les DOM-TOM tiers-monde et boulet de l'économie française, au point que Christophe Barbier se permet de déclarer sur une grande antenne qu'enfin les Domiens allaient "enfin connaître ce que travailler veut dire " (sans doute poussés par la faim et après avoir expérimenté les limites de l’assistanat, mais ça ça doit être la faute à leur fainéantise proverbiale). Le tout en passant trop souvent sous silence l'apport des territoires français d'outre-mer qui façonne une situation quasi-unique à une puissance européenne de cette envergure ( surface maritime, importance des frontières, bio-diversité, apport de la francophonie et variété du patrimoine culturel). Voilà pourquoi, en l'absence d'espaces où être audible, je comprends qu'on puisse porter de tels propos en justice, ne serait-ce que pour provoquer un début de débat.
Sur l'engagisme, c'est vrai que je suis un peu désespérée pour le coup, parce que c'est un sujet pas mal occulté parmi la population antillaise elle-même, j'ai l'impression, justement en raison du poids du passé esclavagiste qui est lui-même minoré dans l'enseignement et la recherche au niveau national. Le temps qu'on se décide à considérer pleinement ce pan de l’histoire de France est pas vraiment proche, alors quand il s'agira d'enchaîner sur ce sujet, je pense que je serai déjà morte et enterrée
.
Pour le reste, c'est plus clair et vraiment, cela me chagrinerait beaucoup que tu te retiennes d'intervenir sur ce sujet comme d'autres. Je ne pense pas être la seule à le penser, mais tes posts sont une énorme source de références et d'apports nouveaux pour moi. Ils m'ont souvent permis de pousser un peu plus loin et d'avancer dans ma propre réflexion, alors ce serait réellement dommage
.
Voilà,
@MorganeGirly : j'espère sincèrement que tu es autant rassurée que je le suis après avoir lu ton message qui m'a aidée à remettre de l'ordre dans tout ça. Je suis désolée si à mon tour, je t'ai bien involontairement heurtée. Vraiment.
Comme je t'ai dit par MP, je te remercie pour ta réponse très pacifique et gentille, ça me fait plaisir de savoir qu'à la fois tu ne m'en veux pas et que tu aimes bien me lire.
Merci
@Seinouille aussi pour tes encouragements à débattre.
Comme cette histoire m'a pas mal tracassée, je vais aussi essayer de clarifier 2-3 points et j'espère que tu ne m'en voudras pas (et me le signaleras) si je fais encore des boulettes.
D'abord, c'est surtout la question des lois mémorielles qui m'a interpelée. C'est un grand débat historiographique de définir si les quatre lois mémorielles sont nécessaires ou problématiques. Pour celles qui ne s'y connaissent pas, on parle de "lois mémorielles" dans le cas où nos lois décident légalement ce qu'on a le droit de dire ou pas historiquement. C'est-à-dire qu'on n'est plus dans le domaine du débat scientifique (qui est une confrontation d'idées, de preuves) mais dans la fixation de la mémoire nationale, d'un passé qu'on n'a pas légalement le droit de remettre en cause. En France, il y a quatre lois mémorielles qui sont les suivantes :
- Loi Gayssot : Interdiction de contester l'existence des crimes contre l'humanité tels que définis par le Tribunal de Nuremberg en 1945 (génocides, déportations etc.). Cette loi porte donc surtout sur le négationnisme liés aux crimes nazis.
- Loi de janvier 2001 : Reconnaissance du génocide arménien de 1915 (on ne peut donc pas contester l'existence de ce génocide ou l'utilisation de ce terme)
- Loi de mai 2001 dite "Taubira" : Reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crime contre l'humanité.
- Loi de février 2005 : La Nation est reconnaissante envers les Français rapatriés d'Afrique du Nord et d'Indochine (anciens colons donc). Reconnaissance du rôle positif de la présence française en outre-mer.
Beaucoup d'historiens contestaient déjà l'ingérence dans leur travail avant la loi de 2005. Ils estimaient que la preuve scientifique, le travail du chercheur devait être suffisamment éloquent et précis pour montrer le ridicule de toute négation des crimes nazis par exemple et que le négationnisme n'avait donc pas besoin d'être un délit. Pour eux, ça posait problème car cela signifiait que l'Etat définissait une Histoire officielle qu'on n'a pas le droit de contester et que c'était donc la porte ouverte à des dérives du contrôle du travail du chercheur, en principe neutre, critique et argumenté.
Je dois dire que la loi de 2005 leur donne franchement raison même si je ne pense pas qu'elle ait vraiment servi à empêcher le regard critique des historiens spécialistes de l'Histoire coloniale.
Beaucoup pensent que les lois contre le racisme sont un cadre légal suffisant pour empêcher ces dérives.
C'est donc par rapport à ça que j'ai réagi car dans l'extrait cité, j'avais l'impression que l'auteur de l'article se désolait quelque part que l'on ait le droit de discuter de l'Histoire de manière controversée. Pour moi, c'est très important et je n'ai pas vraiment envie de voir d'autres lois mémorielles pointer le bout de leur nez. A l'heure actuelle, on pourrait facilement imaginer une loi comme "Les attentats et les critiques à l'encontre de Charlie Hebdo sont une atteinte à la liberté et à l'identité française. Les manuels scolaires reconnaissent le magazine comme un symbole de la France". Et c'est pour ça que je pense qu'on doit s'arrêter là (voire même abolir la dernière...) et que même si les lois mémorielles peuvent permettre de promouvoir l'Histoire de l'esclavage par exemple, elles sont assez perverses. Mais je réagissais par rapport aux propos de l'auteur de l'article, pas aux critiques des propos de Haytot.
Je réagissais d'autant plus là-dessus que comme je l'ai expliqué, le thème qu'il a choisi ressemble justement aux termes d'un débat parfaitement scientifique qui est assez fourni autour des violences exercées sur les esclaves. Comme je l'expliquais, les violences par procuration pouvait créer un système pervers qu'il est nécessaire de connaitre car on a trop souvent l'image de l'esclave enchainé et fouetté par un homme blanc violent qui n'est pas forcément exacte dans tous les contextes et ça ne rend pas l'esclavage plus sympathique pour autant.
Mais ça peut aussi aider à comprendre certaines difficultés des esclaves à constituer des réseaux de solidarité ou de révoltes par exemple : les maitres les retournaient les uns contre les autres, ils leur faisaient croire qu'ils étaient "bons" avec eux car ils leur donnaient certains congés (à Maurice le dimanche après-midi), ne les battaient pas personnellement et jouaient avec ça pour les garder sous leur emprise etc. (Bien sûr, les réseaux de solidarité existaient quand même mais je pense par exemple que plusieurs mouvements de luttes pour les droits civiques ont vu le jour parce que leurs militants subissaient une violence trop frontale et directe pour qu'ils aient d'autres choix que de contre-attaquer... Si on les avait convaincus que leur sort était "supportable", ils auraient peut-être plus hésiter à se défendre par peur qu'il existe bien pire). Si le tribunal avait condamné Haytot sur ces propos certes blessants et pas scientifiques mais qui peuvent ressembler à ces questionnements, j'aurais trouvé ça dangereux car ça aurait risqué de brider ce débat nécessaire pour l'Histoire de l'esclavage.
Cela ne veut pas dire qu'il faut le laisser parler sans rien dire bien sûr. C'est toujours là-dessus qu'insistent les historiens opposés aux lois mémorielles : le but est de contredire avec des preuves, pas d'interdire. Il ne s'agit pas "d'avoir le droit de dire ce qu'on veut sans que personne ne nous critique", bien au contraire car le débat scientifique est justement basé sur la critique! Du coup, pour moi, le tribunal devait relaxer Haytot et c'est maintenant aux historiens de l'esclavage et autres spécialistes de démonter ses propos avec toute la virulence qui leur convient.
Mais je n'ai pas lu tous ses propos, peut-être a-t-il dit des choses qui tombaient clairement sous le coup des lois contre le racisme et là, c'est un autre problème.
Pour l'engagisme maintenant, c'est sûrement ma faute car c'est vraiment un grand point de l'Histoire mauricienne. Comme je l'ai dit environ 80% de la population est issue de l'engagisme. Mais contrairement à d'autres anciennes colonies, les Indiens ont réussi à s'approprier le pouvoir. Aujourd'hui, le pouvoir des Franco-Mauriciens (blancs descendants de colons) est le pouvoir économique qu'ils tirent des terres dont ils ont héritées. Les entrepreneurs les plus doués parmi eux ont converti ces terres agricoles en terrains touristiques, immobiliers ou autres et ils sont donc toujours très puissants économiquement. Mais ce n'est pas eux qui ont le pouvoir politique, ce sont les Indiens. D'autre part, même si les influences culturelles françaises et anglaises sont encore très fortes (Maurice était une colonie française pendant un siècle puis est passée aux mains des Anglais en 1810 mais les Anglais n'ayant pas la possibilité de dominer les colons blancs, ils leur ont laissé garder l'héritage français), les influences culturelles indiennes sont vraiment dans toutes les sphères (religieux, cinéma, musique, langue etc.). Et surtout, le fait d'avoir le pouvoir politique permet aux Indiens d'accéder de plus en plus au pouvoir économique.
Et puis les Indiens sont aussi massivement propriétaires, mais comme 95% de la population (il me semble que c'est le chiffre). Bref, l'engagisme à Maurice pour moi c'est une oppression qui s'est mutée en prise de pouvoir alors que les descendants d'esclaves n'ayant pas eu le même prestige (les Africains étaient jugés plus primitifs que les Indiens, les colons ne voulaient pas faire de cadeaux à leurs anciennes propriétés etc.), ni la même chance d'accéder à l'économie, ni le même poids démographique (ils sont aujourd'hui environ 15%), ce sont toujours eux les plus défavorisés de l'île. Et c'est pour ça que je trouve très injuste que l'Histoire mauricienne officielle traite ces deux oppressions sur le même plan alors que l'une a bien plus détruit ses victimes et leurs pratiques culturelles que l'autre.
Donc là, oui, c'est ma faute, j'ai été trop vite et trop approximative en te répondant comme si tout était comme à Maurice même si je savais bien que l'histoire mauricienne est particulière dans ce domaines. C'est juste que les éléments que tu citais me rappelait un discours mauricien sur l'engagisme vs l'esclavage que je trouvais assez peu nuancé par rapport à la place des Créoles (les descendants d'esclaves).
Par exemple, si le thème de l'engagisme au 19e siècle vous intéresse, la Mauricienne Nathacha Appanah a écrit un super roman,
Les Rochers de Poudre d'Or chez Folio (j'en parle plus longuement ici :
http://20anspasses.wordpress.com/20...s-rochers-de-poudre-dor-par-nathacha-appanah/). J'ai vraiment adoré ce roman mais ma critique non-littéraire c'est qu'elle a vraiment adopté l'angle de "l'engagisme a remplacé l'esclavage" et il y a une scène justement où les anciens esclaves désormais libres sont impitoyables envers un engagé en fuite et le dénoncent à ses maitres par hostilité. Je connais mieux le 18e siècle que le 19e siècle donc je ne sais pas jusqu'à quel degré les anciens esclaves rejetaient vraiment aussi cruellement les engagés mais pour moi, ce passage est surtout significatif de la manière dont l'engagisme a gagné sa reconnaissance dans l'Histoire officielle de Maurice comme traumatisme du passé. Je pense que l'Histoire mauricienne insiste de manière peut-être un peu trop convaincue sur cette tension esclaves/engagés en ne rappelant pas assez que les esclaves avaient beau être libres légalement, ils n'étaient pas pour autant très en mesure d'en profiter. Dans le livre, les vraies victimes de l'époque sont les Indiens engagés et d'ailleurs (attention mini-spoiler), le roman ne se finit bien pour aucun d'eux alors que dans la vraie vie... on sait ce que les engagés mauriciens ont réussi à construire! Mais quoiqu'il en soit, c'est une introduction très prenante à l'histoire de l'engagisme dans l'Océan Indien.
Merci pour tes précisions sur béké/blanc péyi. En t'écrivant mon 2e message où j'ai bien insisté sur le fait que je ne me sens pas liée aux Antilles, ça m'a fait pas mal réfléchir sur ma relation à cette partie de mon histoire familiale et ça me pose encore plus de questions de voir tes précisions! Dans ma famille, j'ai toujours entendu "béké" pourtant c'est à la Guadeloupe qu'ils sont liés!
@MorganeGirly par rapport à NVB je dis ça sur une intuition mais à mon avis oui c'est comme tu le disais à la fin de ton message elle se sent obligée de montrer qu'elle est très intégrée. Sa place est déjà souvent critiquée et c'est courant qu'on lui dise qu'elle n'est là que pour les quotas (même si c'est souvent des paroles en l'air de personnages publics, en interview j'ai déjà vu plusieurs fois des journalistes lui demander de répondre à ce genre de choses donc elle n'a pas le privilège de pouvoir les ignorer, elle est obligée de se justifier). Elle est donc sans cesse en train d'essayer de convaincre qu'elle a de vrai compétences, qu'elle fait un vrai travail, et qu'elle n'est pas favorisée. Je comprends qu'elle n'ai pas envie tout d'un coup de défaire le peu de crédibilité qu'elle a essayé de gagner en plusieurs années. Je ne savais même pas qu'elle était musulmane. Franchement si elle l'affichait ouvertement je pense que des gens le prendraient comme une provocation et que ce serait presque dangereux pour elle (même si j'aimerais qu'elle puisse le dire et que le gouvernement montre son soutien). C'est un peu tout le problème de la diversité, même quand il y a des personnes non blanches, la meilleure façon de réussir pour eux c'est de la jouer carpette et de dissimuler tous les signes qui pourrait faire penser qu'ils ne correspondent pas au bon modèle (sinon soit on les rejette, soit tout le monde suppose qu'ils ont été favorisés et refusent de les voir comme des personnes compétentes). Je crois que c'est ici que j'avais lu que les Obama pour réussir avaient dû se couper de toutes relations avec d'autres noirs et ne vivre entourés que de blancs (je crois me souvenir que c'est Michelle Obama qui l'a dit).
Oui je pense que tu as raison. Et pour le musulmane, elle l'a dit dans l'interview du Bondy Blog mais elle l'avait aussi déjà déclaré en interview sauf qu'elle avait donné une "explication" comme si sa foi musulmane devait être expliquée (
voir ici) : "
Je suis croyante. Musulmane par héritage en quelque sorte. C’est une histoire de culture, de tradition, de racines… Je n’ai pas réinterrogé cela. Je n’ai pas été une pratiquante régulière."
Sinon
@Seinouille, pour moi Valls et Belkacem ont un profil encore différent de Sarkozy. Du côté de Sarkozy, c'est son grand-père qui est hongrois et je trouve justement qu'il avait pas mal joué là-dessus pour se donner un petit côté "descendant d'immigré qui a réussi" ou "success story à la française" et pouvoir ensuite taper sur les immigrés "mal intégrés". La différence c'est que comme il est la troisième génération de sa famille a être en France, il a "gagné" le titre de Français même aux yeux de l'extrême-droite.
A l'inverse, Valls et Belkacem sont nés à l'étranger de parents étrangers et sont devenus Français une fois adultes. Leur profil est beaucoup plus "gênant" car ils ne correspondent pas du tout au discours du bon Français de souche... ils n'ont même pas été Français toute leur vie! Eux, ce n'est ni le droit du sol ni le droit du sang mais vraiment l'assimilation et c'est un concept particulièrement mal vu de l'extrême-droite. C'est pour ça que je trouve d'autant plus dommage qu'ils le cachent, entretenant ainsi le mythe du "vrai Français" qui n'aurait aucun lien affectif avec une autre citoyenneté ou un autre pays.
Après c'est vrai que même des origines plus lointaines comme celles de Sarkozy devraient être plus mises en valeur pour qu'on réalise un peu une très grande partie de la population française, dans toutes les sphères de la société, est en fait complètement métissée...
Et par rapport à ce que tu montres sur le festival berbère, Valls a aussi déjà "utilisé" sa double culture dans des contextes discrets, notamment en donnant un interview en catalan à une chaine espagnole... Mais bien sûr, ce n'était pas destiné à être connu en France, simplement à augmenter son influence à l'étranger! Un peu schizophrène tout ça...