Un petit en passant.
Entendu hier midi au resto, à propos du Petit Journal "Islam" : "nan mais moi il m'a pas trop plu ce journal. je trouve qu'ils ne sont pas assez objectifs. tu vois ils nous montrent un imam jeune, modéré ... mais bien sûr tout le reste ils le montrent pas !"
Comme quoi même avec des émissions complètement confort pour les dominants, où on demande à nouveau aux musulman·es de prouver qu'ielles ne sont pas la caricature que ces mêmes médias en font, c'est toujours insuffisant.
Ahah j'avais décidé de pas aller sur MadmoiZelle et encore moins de participer pendant un moment car j'ai trop de choses à faire et j'y passe bien trop de temps au détriment de mes autres activités mais je peux pas me retenir
C'est ouf comment on a tous les deux pas aimer le Petit Journal spécial islam mais pour des raisons limite opposées!
Bon pour ceux qui l'ont pas vu, voilà ce dont je me souviens :
1) Malek Chebel, auteur entre autre de "L'islam pour les nuls", était l'invité principal. Il a dû répondre à des questions simples voire simplistes qui ne permettaient pas franchement d'aller au fond du sujet : c'est quoi la différence entre islam et musulman, est-ce que l'islam est compatible avec la laïcité, qui est le Pape des musulmans etc. Il avait l'air méga-enthousiaste tout le long comme si c'était trop passionnant et il avait un discours hyper "rassurant" pour ceux qui ont "peur de l'islam" du style "oui l'islam doit se réformer, l'islam traite mal les femmes". Bon je le critique pas pour ça hein, je pense que c'est vraiment son opinion et en plus il est suffisamment instruit pour avoir vraiment un avis constructif. Mais bon, gros hasard quand même que le Petit Journal ait choisi un mec musulman qui dit pile ce que tous les non-musulmans braillent dans les journaux pour nous "expliquer l'islam". Aucune confrontation d'idées ou de questionnements du coup.
2) On fait un petit reportage sur un imam "cool". Un Français avec un accent français qui passe la moitié du temps à expliquer le prêche et l'autre moitié à essayer de prouver que l'islam c'est pas méchant, que c'est pas obligé de mettre le voile etc., comme s'il était là pour se justifier. Après, la journaliste interroge des musulmans à la sortie de la mosquée en mode "discussion PMU" où tous les gens venus priés sont désespérés de prouver qu'être musulman n'est pas incompatible avec la laïcité et qu'ils sont vraiment contre les terroristes. Quand un gars dit que lui n'a pas aimé les caricatures (oui parce que la question récurrente à chaque intervenant musulman c'était de demander si les caricatures les choquent), les autres lui tombent dessus en mode non, non, c'est pas grave les caricatures et moi ça me faisait un peu l"effet "mais chut mec, on va encore mal nous voir!"
Le truc que j'ai trouvé intéressant c'était quand l'islam expliquait que la majorité des mosquées sont financées par des ambassades étrangères de pays type Qatar et que ça le préoccupait. Mais bon, on a pas trop creusé plus loin donc moi ça m'a plus donné l'impression que ça sous-entendait "ah ok donc les autres mosquées sont belles et bien radicalisées!" au lieu de réfléchir à "peut-être qu'être un peu plus ouvert aux musulmans français permettrait d'éviter l'influence étrangère?"
3) On va chez un Chti converti à l'islam qui nous montre comment c'est chez lui et qui explique qu'il peut être prof d'Histoire sans faire de prosélytisme. Cette discussion sur son métier et l'enseignement des religions "comme des faits" était intéressante mais très courte.
Par contre grosse lacune pour moi : on ne sait pas pourquoi il s'est converti, qu'est-ce qu'il l'a attiré dans l'islam, comment il l'a connu etc. C'est quand même un point qui me parait un peu clé si tu prends la peine d'aller voir un converti?
4) Malek Chebel corrige des trucs qu'avaient dit l'imam (ce qui donne l'impression que le pauvre garçon bien gentil n'y connait en fait rien à l'islam et si ça avait l'air si modéré et ouvert c'est ptete bien parce qu'il ne respectait pas le vrai islam).
5) Sophia Aram qui avait fait le matin une chronique en burqa à la radio et qui se décrit comme de culture musulmane mais athée vient faire un speech sur les gens qui font des amalgames. Son speech était bien équilibré et je n'ai pas grand-chose à y redire mais j'ai pas trop compris pourquoi inviter une athée pour parler d'islam? Je veux dire c'est comme si moi on m'invitait pour parler du catholicisme parce que mes grands-parents allaient à l'église alors que j'ai dû aller à 3 messes dans ma vie dont 2 pour des mariages. A la limite, si je suis dans un pays où ya pas de catholiques du tout, je pourrais apprendre 2-3 trucs aux gens mais si ya des experts autour, je vois pas trop ce que je viendrais faire dans une émission sur le catholicisme...
Donc en gros, je suis d'accord avec les gens du restaurant dans le sens où je trouve que c'était quand même une émission qui ne poussait pas vraiment à la réflexion et montrait une image assez simplifiée des choses, pour vraiment caresser le public dans le sens du poil "non mais regardez, les musulmans ils sont d'accord avec ce que nous les non-musulmans on pense de l'islam et de la religion!". Mais franchement, c'était vraiment pas des gens plus radicalisés que je m'attendais à voir, plutôt des gens moins anxieux à l'idée de dire quelque chose qui pourrait donner une mauvaise image, ou qu'au moins la production le réalise et aille au-delà de cette peur...
Et en fait, ça revient à ce que je disais avant. C'est tellement "bloqué" cette image de notre "modèle français" qui ne serait pas à questionner dans le sens analyser en profondeur, confronter à d'autres modèles. Le nôtre est le bon donc on des musulmans qui diraient différemment seraient suspects.
Après les révolutions arabes, j'ai eu l'occasion de déjeuner avec des membres du gouvernement de transition tunisien. Ils étaient parfaitement laïcs voire carrément athés et c'était vraiment super intéressant ce qu'il racontait sur leurs recherches pour construire un gouvernement démocratique. Mais ce que j'avais retenu, c'était aussi leur perplexité face aux réactions occidentales qui trouvait horrible que les islamistes prennent le pouvoir après eux à la suite d'élections démocratiques. Ils étaient là :
" Dans le contexte tunisien actuel, bien sûr que le peuple va voter pour les islamistes! C'est la démocratie, on ne peut rien y faire et ce n'est pas à nous de décider pour eux ce qui est bon! En plus on les connait les islamistes, ils sont plein de bonne volonté, c'est juste qu'on a pas forcément été habitués à la démocratie et qu'ils ne maitrisent pas toujours très bien le concept. Donc notre rôle maintenant qu'on sort du gouvernement, c'est d'éduquer les gens pour qu'ils aient le choix et pour ça, le gouvernement, donc les islamistes, sont nos meilleurs alliés".
(Je reconstruis hein).
J'avais trouvé ça intéressant parce que eux, ils ne voulaient pas d'une religion d'Etat mais en même temps, ils n'étaient pas en mode "ouuuh c'est le mal! on s'est pas battu contre la dictature pour ça!", bien au contraire. Ils estimaient que c'était réellement la volonté du peuple, que quand t'allait dans les campagnes et que tu parlais avec le peuple, tu te rendais bien compte que c'était le modèle politique qui leur plaisait. Du coup, le discours médiatique en France, ça m'a rappelé les débats sur le vote en Europe au 19e siècle où on voulait pas trop donner le droit de vote aux classes populaires "parce qu'ils ne sont pas assez instruits pour un vote éclairé" ni aux femmes "parce qu'elles vont voter pour les partis religieux". En gros, j'avais un peu l'impression que les journalistes voulait se débarrasser du méchant dirigeant tunisien mais que si le peuple vote démocratiquement pour un parti islamique... euh, ptete que le dictateur était pas si mal en fait? Enfin je caricature un peu... mais à peine!
Ensuite, j'ai rencontré un prêcheur égyptien très populaire et jeune, qui "prêche un islam de la paix et de l'amour" à la télé (un peu comme les évangélistes américains). Bon j'avoue qu'il était méga-efficace car quand il a parlé, j'étais totalement subjuguée (il ne prêchait pas hein, il parlait des révolutions), je le trouvais absolument sublime de beauté mais quand je l'ai revu en vidéo récemment, je l'ai trouvé assez banal... Donc oui, il avait effectivement un charisme incroyable qui fait que je comprends sa popularité.
Lui, il disait que l'Occident concevait la démocratie comme quelque chose de séculaire mais qu'au fond, c'était juste une opinion, qu'on peut être démocratie et non-séculaire, que la question c'est la liberté de choix individuelle qui doit être préservée (par exemple il est pro-voile mais pense que le moment de prendre le voile doit être l'aboutissement d'une quête spirituelle et personnelle et ne pas être du coup porté à un âge précis ou automatique ou systématiquement - un peu comme la communion dans la religion chrétienne j'imagine) mais qu'un Etat a le droit de s'appuyer sur la religion pour construire ses lois. J'avoue que je trouvais le concept assez étrange mais c'était intéressant d'y réfléchir.
Enfin voilà, je trouvais intéressant de découvrir d'autres points de vue mais si la réfléxion autour d'islam et démocratie que je raconte est une vision étrangère et non française, que du coup ça ne s'applique pas trop au reportage du Petit Journal. Mais c'était une digression pour dire que réfléchir aux concepts du religieux et du politique peut être enrichissant si on accepte de sortir de la notion "on a raison en France et il est hors de question qu'on se pose des questions sur le sujet!" Et j'attendais un peu qu'on sorte du discours dominant actuel de ce qui est "la voie de la raison" pour questionner, confronter ou agréer de manière argumentée.