@Little Moi-Même Câlin!
Personne ne va te dire que tu souffres du racisme puisque ça n'existe plus... (non). Et si tu connais pas beaucoup de racisé.e.s, c'est encore plus long le moment où tu vas te rendre compte, que oui en fait, c'est du racisme, que oui t'as le droit de gueuler... c'est pas très normal, quand on y pense, qu'on doive attendre 20-30 ans de notre vie pour comprendre qu'on n'a pas un problème de santé mentale mais qu'on subit vraiment quelque chose de systémique.
Moi aussi j'ai essayé de parler de ces choses-là avec ma mère, aussi racisée d'ailleurs, mais je ne crois pas qu'elle se rende compte à quel point ça me bouffe autant que ça. Quand je raconte certaines répliques de ma part à ma mère, elle me dit: "mais, bien sûr que ...". Quoique. Des fois, elle m'a aussi permis de mieux me redéfinir (jy viens tout de suite) mais je ne pense pas qu'elle imagine à quel point ces questions répétées m'ont blessée dans ma vie. Quand j'étais petite, elle m'avait appris à dire "je suis Suisse" aux gens qui me posaient la question. Et je me suis battue des années pour le faire comprendre. Mais des fois, j'ai aussi dit ça à des Chinois, et ma mère m'a regardé bizarrement, en mode "mais bien sûr que t'es Chinoise! Même si tu es née ici, tu peux le dire mais tu es aussi Chinoise". Pendant un temps, j'ai laissé tomber la discussion. Puis depuis que j'ai conscience d'être racisée, j'ai un peu mieux compris ce que ma mère voulait dire, et qu'en fait, inconsciemment, j'avais déjà défendu cette position.
Donc mes amis Blancs, à qui j'ai répété pendant des années que j'étais Suisse, ont réussi à me faire ch* quand des Chinois me demandaient si j'étais Chinoise et que je répondais oui, genre en mode "mais pourquoi à
eux, tu dis ça, pourquoi tu tiens pas un discours constant?". A l'époque, je ne savais pas pourquoi, j'avais réagi instinctivement à ces personnes qui sont une part de ma communauté, même si je n'y suis pas intégrée. J'ai pas réussi à expliquer. Avec du recul, ça me paraît clair: c'est à moi, et moi seule, de décider à qui je m'identifie. Et la théorie sur le pseudo-discours pas constant, je les envoie se balader. Mon discours est tout à fait cohérent parce que je suis Suisse, je suis Chinoise. Je suis
les deux. Mais ce n'est à personne de me dire à qui je m'identifie. Donc depuis aux Chinois, je dis que je suis chinoise, et si on switche au mandarin comme je suis toujours un peu coincée quand je ne parle pas à des membres de ma famille (j'ai un foutreusement moche accent), bah ils se rendent bien compte que je suis de la diaspora. Par contre, les Chinois de l'étranger ne m'abordent jamais en chinois, vu qu'on ne maîtrise pas tous le même dialecte alors on parle dans la langue locale. Et tac!
Bref, j'ai réglé le problème avec ma communauté d'origine. Par contre, je désespère toujours de faire comprendre aux gens que oui, je viens vraiment de Suisse. J'y suis née, je bouffe 3 kgs de fromage par mois, ça te va pas? (et d'ailleurs, je vois tellement ça comme un signe de l'intégration "réussie" de mes parents pour moi que je n'essaie même pas de parler de ça avec la plupart des végéta*iens),, je vote, je maîtrise 2 langues nationales, je peux comprendre la 3e, je sais même comprendre vos crétins de dialectes suisses-allemands (parce que oui, vous êtes pas les seule.s à avoir des dialectes! Arrêtez d'effacer mon identité d'étrangère en continuant de penser qu'après 3 ans de vie locale, je ne comprends pas les dialectes parce que j'ai littéralement grandi dans la tradition orale des dialectes).
Donc je suis presque déçue ces temps parce que ça fait longtemps qu'on ne m'a pas demandé d'où je venais vraiment alors que j'ai appris une superbe réplique de BuzzFeed qui est de répondre: bah c'est évident que je viens vraiment du vagin de ma mère!
(non en fait, bien sûr que je suis contente qu'on ne sollicite pas mes nerfs...)