@mamiecaro : +1000 à ton post, je ne l'aurais pas mieux dit *__*
Songi, je suis ce groupe FB également, j'ai raté la discussion en question, mais il faut savoir qu'il est très exigeant en effet.
De plus il a vocation à être safe, parce que justement dans l'intersectionnalité on est *vraiment* conscient de ce que ce mot signifie, parce qu'on essaie de donner la parole à des minorités qui subissent de multiples formes d'oppression et que leur parole n'est jamais relayée médiatiquement ni forcément prise en compte dans les analyses féministes traditionnelle occidentales.
Il faut se remettre en cause, et être conscient d'avoir à le faire dans l'avenir encore et encore.
Ce groupe précis sur FB part du pré-requis que les membres présents ont déjà commencé ce travail-là et qu’ils n’hésiteront pas à le faire. Ils veulent créer un espace safe et sont assez intransigeant là-dessus.
Il est possible qu'ils ne soient pas assez pédagogue pour toi, mais je t'assure que si les modos et la forme n'était pas aussi intransigeantes, les minorités qui viennent y parler ne se sentirait pas assez safe pour y venir.
Par contre, je suis contente que tu viennes ici, sur madz, pour essayer de comprendre.
Je vais donc être pédagogue et t'expliquer pourquoi ils ont réagi comme ça, en t'expliquant le point de vue du dominé en question.
songi-songi;4836721 a dit :
Sur Facebook je suis dans le groupe "Humour et blagues anti-dominants."
Il y a quelques jours,
ce lien est passé et je voulais avoir votre avis sur les phrases:
"Est-ce que la couleur de ton foulard signifie quelque chose ?" et "je peux voir tes cheveux" car j'ai réagit en disant
"Pour le "Est-ce que la couleur de ton foulard signifie quelque chose ?" je serais bien du genre à la poser cette question en fait
En suivant la même logique que pour les pagnes africains, oui on peut se demander si la couleur du voile change une symbolique, non ?
Dans le cas précis que tu sous-entends, c'est plus de l'ordre de la curiosité / ignorance.
Bon ben je te réponds, il n'y a aucune symbolique, c'est pour le style uniquement. Comme ça tu sauras, toi individuellement. Par contre, il faut que tu comprennes qu'en posant la question, tu soulages une curiosité personnelle, mais tu ne te place pas du point de vue de la personne à qui tu la poses.
C’est le même problème que la fameuse question « tu viens d’où ?» qu'on a plusieurs fois évoqué ici.
Si pour toi , c'est la première fois que tu poses la question, la fille voilée, elle, on la lui a déjà posée une centaine de fois .... forcément, elle va être hyper saoulée par cette question....
Comme dit MamieCaro, quand tu te poses la question de la légitimité par méchanceté ou non, et que tu revendiques la sincère curiosité de la tienne, c'est comme si tu disais que la fille voilée ne savait pas faire la différence entre les deux.
Elle sait très bien que la question est posée méchamment ou non, et elle saura distinguer si le ton est dû à de la curiosité innocente ou de l'attaque verbale méprisante.
Quand c’est une attaque verbale, évidemment qu’elle va être saoulé et tu trouveras ça légitime.
Par contre tu ne comprends pas qu’on puisse être saoulé, même quand c’est fait « gentiment », et ça sera pourtant le cas le plus fréquent.
C’est une question répétée, qui la ramène de manière répétée au statut de « personne différente », alors qu’elle a juste envie d’être normale et de passer inaperçue.
Cette différenciation verbale fréquente peut la ramener à un sentiment d’incompréhension, voire à des sentiments de rejets qu’elle a pu subir à cause de *toutes* les questions sur le voile ( et le relayage médiatique largement majoritaire des anti-voile)
Ce n’est donc pas une questions anodine.
Ensuite la religion c’est de l’ordre du privé et de l’intime, si elle-même ne t’en parle pas d’abord, pourquoi la questionner sur un sujet intime qu’elle n’a pas forcément envie de discuter avec toi.
Ce n’est pas parce que c’est une signe *visible* que c’est une autorisation pour qu'on lui en parle.
songi-songi;4836721 a dit :
Et le "je peux voir tes cheveux" je ne comprends pas pourquoi il est ennuyant
(réelle question) Ça me semble du même registre de réflexion que "tu as du persil entre les dents" (prévenir d'un truc potentiellement gênant que la personne n'aurait pas vu) ou je me plante complètement ?" (et j'ai précisé par après que je ne me permettrai bien entendu jamais de faire un telle réflexion à une femme que je ne connait pas).
Non ce n'est pas *du tout* du même registre,et c'est là que l'ont comprend que ce n'est pas *purement* vestimentaire. Et qu'il y a bien une discrimination sur les femmes voilées.
C'est hyper déplacé sur de nombreux points, même à quelqu'un que tu connais.
Bon passons sur les cotés moqueurs et foutage de gueule pour laquelle cette phrase peut-être utilisée ...
1) Tu ne sais pas quelle est *sa* conception du port du voile. Culturellement il y a des centaines de façon de le porter, et religieusement, chacun à sa façon de le porter également.
Bref, faire une remarque directement dessus sans n'avoir jamais pris conscience de la façon dont elle le porte d'habitude est déplacé. Comme au dessus, rapport à l’intime tout ça.
Quand en plus c'est une personne que tu ne connais pas, ouais là c'est carrément vu comme une agression.
Ensuite quand bien même vous avez discuté de sa conception du voile lié à ses valeurs morales, il faut quand même comprendre qu'elles ne sont pas immuable. Le lui rappeler c'est donc lui dire "attention tu n'as pas le droit de changer d'avis", "tu dois être rigide dans ton code moral".
C'est aussi lui dire qu'elle ne peut pas faire d'entorse à ses habitudes, que ce soit d'elle-même ou par ton rappel.
2) même quand tu sais sa conception du port du voile, en lui disant ça , tu participes à l'objectiver , physiquement et moralement. Et il y a des rapports avec le sexisme.
Et selon le sexe de celui qui pose la question, les sous-entendu peuvent ne pas être les mêmes.
En tant que non-voilé-e, tu la ramènes à son statut de femme + musulmane voilée alors que la discussion ou le contexte ne s'y prêtait pas forcément.
Tu lui rappelles la relation entre son corps physique/symbolique, alors qu'elle ne t'a rien demandé.
C'est une forme d’objectivation symbolique qui entraîne une auto-objectivation +- symbolique.
Tu n'as pas à être "consciente" de son apparence /apparence symbolique quand elle-même ne l'est pas, ou qu'elle n'a pas demandé à l'être. Tu renforces son body-monitoring.
Déjà qu’on en suffisamment avec le sexisme, si maintenant on y adjoint des éléments religieux, yeah bingo intersectionnel rempli.
3) Tu fais la police. La police des mœurs et de la morale par la police du corps.
Selon le contexte toujours cela peut-être très violent.
Cela peut même rentrer dans le maintien d'un système oppressif, quand le voile est culturellement imposé, et non adopté volontairement par une femme. Cette phrase est ainsi utilisée par quelqu'un pour "rappeler à l'ordre" la femme voilée. Lui rappeler qu'elle doit policer ses mœurs par l’entremise de la police du corps.
C'est un peu l'équivalent du "fait pas ça, ça fait pute"..
Donc voilà, c'est une phrase tout simple qui va revêtir pleins de sous-entendus différents selon le contexte, mais dis-toi que qu'importe le nouveau contexte dans lequel cette phrase est dite. Quand on l'entend, cette phrase devient chargée émotionnellement de tous les ressentis négatifs qu'elle a un jour provoqué.
Donc ouais elle est un peu beaucoup nulle cette phrase, elle est vraiment à chier sur plein de points.
songi-songi;4836721 a dit :
Et je me suis pris plein de réactions pas franchement sympathiques suite à ça (bon c'est peut-être moi qui sur-réagit mais j'ai vraiment eu l'impression d'être agressée) (j'ai essayé de répondre une fois mais après j'ai arrêté car j'avais l'impression que tout ce que je disais était retourné contre moi, genre on ne me crois pas quand je dit qu'on m'a déjà demandé la signification de mes fringues)
disons qu’ils ont peut-être déjà compris tout les sens des phrases de la fille voilée, car ils savent ce que ça représente et ce que ça recoupe.
Et même si on le sait pas, venir discuter de ça revient à voir la discussion comme ça: (c'est comme ça qu'ils l'ont vu)
-"en fait ça me saoule d'entendre cette question
- ah non , tu exagères! tu n'as pas le droit d'être saoulé car il y a plein d'exemple où c'est légitime de te poser la question.
- Oui bah en attendant je reste saoulée.
-Et moi je continuerai à la poser gentiment, parce que mon sentiment de légitimité est plus important que ton ressenti. "
Et ça, c'est le principe même des maintiens des oppressions et du déni de la parole et du ressenti des dominés.
Désolée mais dans un groupe intitulé « anti-dominant », ça passe pas trop ^^ ;;;
Le dominant croit être "sincèrement" dans son bon droit, et ne voit aucun intérêt à changer, quand bien même le dominé lui dit qu'il vit mal quelque chose. Il va donc chercher à remettre en question la légitimité du ressenti du dominé, au lieu de prendre son ressenti en compte et au lieu d’accepter que son sentiment de légitimité est peut-être corrompu.
Forcément tout ce qui ressemble à ce comportement va être bashé.
songi-songi;4836721 a dit :
Bref, du coup je me demande si mes questions sont franchement limite (voire racistes)...
Hs : en fait ce truc m'a vachement perturbée car je me suis sentie prise pour une connasse raciste alors que je posais des questions et du coup j'avais même plus envie de répondre (ce qui est débile car du coup je reste sur mon point de vue).
Je comprends ce que tu dis et je comprends pourquoi tu as ressenti cela comme violent et c'est le problème de résistance rencontré dans les luttes anti-XX. C'est un problème d'égo.
Comme toute personne normalement constituée pense être une bonne personne, quand on lui balance à la gueule qu'elle ne l'est peut-être pas autant qu'elle le croit, il y a une blessure d'égo.
La personne pour éviter cette blessure va mettre en place des stratégies allant de la remise en cause de la parole du dominé, à la silenciation, au rejet de la parole et du mouvement anti-XX dans son ensemble voire à l'adhesion aux thèses XX contre lesquelles luttent les anti-XX.
Il faut beaucoup de travail sur soi pour dépasser cette blessure égotique, les personnes habituées à se remettre en question s'en remettront plus vite et accepteront la critique et commenceront à changer leur façon de faire. Les personnes qui ne se remettent jamais en question mettront beaucoup plus de temps le faire et certains ne se remettront jamais en question et passeront à la phase de rejet total.
Tu retrouves ces phénomènes dans les luttes anti-raciales, mais aussi dans les luttes anti-sexisme et bien d'autres.
J’ai beaucoup trop vu cet effet dans les luttes anti-raciste pour ne pas le reconnaître dans les luttes anti-sexisme quand j'ai affaire à des hommes qui me répondent avec le même genre de ressort "oui mais moi je suis pas comme ça! Quand je le fais c'est pas pour faire du mal" c'est exactement le même schéma.
Les hommes en général se sentent visé, alors qu'on les vise pas *tous*, on fait que dénoncer un problème, et parce qu'ils l'ont fait ou qu'il ne voient pas le problème, ça crie, ça gesticule ça s'agite avec des "not all men" , et ça pullule sur la toile et ça prend de l'ampleur et puis il prennent la place médiatiquement et ça gronde encore et au final on tape sur les féministes.... et on n'écoute plus le message de base.
Je comprends que nos propos peuvent blesser leur égo , mais zut, ça n'empêche pas de se remettre en cause. C'est dur, ok, mais ils en sont capables >__<.
songi-songi;4836721 a dit :
Et je me demande du coup, comment faire pour ne pas exclure les gens sans devoir re-expliquer les bases à tout le monde (et ça fait visiblement écho pour le féminisme avec l'article Women against feminism).
Je sais pas si je suis claire en fait
J'ai pas compris de quelle base tu parlais ^^;;
En tout cas, oui, ce n’est pas propre à la lutte anti-racisme ou anti-féminisme, c’est un problème de prise en compte de la parole d’un dominé par un dominant.
L’anti-domination ce n’est pas la « la lutte via la vision du dominant », c’est surtout censé être le « le fait de lutter pour que le dominant prenne en compte la parole du dominé pour agir en tant que dominant afin de ne pas perpétuer une oppression ».
songi-songi;4836721 a dit :
Sinon quand tu dis @mamiecaro que ça n'est pas aux gens non-victimes de discriminations (ici les blancs) de dire si les autres sont victimes de discrimination (donc les non-blancs
) je me demande : quand j'ai rencontré un Marocain qui me soutenait que "les marocains, faut pas leur faire confiance quand on parle d'argent" Moi en tant que blanche je peux lui dire ou non que c'est un cliché raciste ? Même chose pour les femmes, quand une femme sort que "les femmes veulent des enfants" mon mec pourrait lui répondre que c'est un cliché sexiste ou non?
Bah comme disait Mamiecaro, ça peut être autant une blague récurrente que comme un réel cliché raciste qu’il véhicule. Ça va dépendre des gens et du contexte.
Lui dire par exemple simplement "oh arrêtes de généraliser", ça me semble plus raisonnable que de le traiter direct de raciste (ou de véhiculer des clichés racistes) ^^;; .
De même il y a aussi le coté racisme internalisé et empowrement qu’il faut prendre en compte.
Un mec qui entend régulièrement comme cliché que ceux de son ethnie sont obsédé par l'argent, peut reprendre ce cliché à son compte et justifier sa propre obsession, la minimiser, la rendre banale, dire que ce n'est pas sa faute, ou même en être fier, parce que quelque part c'est toujours ça que les dominants lui reconnaissent comme qualité.
C'est par exemple visible pour la situation de la femme racisée exotique. Mélange de racisme et de sexisme/misogynie.
Y a eu un post récent sur les clips d’une star hindou, j’ai pas eu le temps d’y participer mais bien chouette les réflexions.
Des femmes racisées peuvent en venir à arborer fièrement les clichés de type « la racisée est plus active sexuellement/ est plus sexy/hot », simplement par internalisation de cliché raciste et sexiste, parce que c’est ce qu’on attend d’elle, et parce qu’alors elle pourra profiter d’un avantage liée à ce cliché, tout en subissant le reste des inconvénients évidemment.
Ce serait quand même fort de le/la traiter de raciste alors qu’il a internalisé un cliché raciste à *son* encontre ….
Voilà j'espère que c'est un peu plus claire et assez pédagogue, je sais que par écrit mon ton peut-être vu comme dur, je t'assure que je ne le suis pas ton encontre et que ça ne me dérange pas de t'en parler.
Je comprends que tu as été blessée sur la page FB, mais saches que je suis contente que tu sois venue en reparler pour comprendre ce qui s'est passé.
Je sais aussi que tu poses ces questions sincèrement parce que tu ne comprends pas en quoi elles sont problématiques, parce que toi tu ne le vis pas et bien sûr tu ne comprendras pas si on ne t'explique pas.
Voilà donc si je peux t'aider à mieux comprendre, j'en serai contente également. Et surtout tu participeras plus à cette page FB en comprenant mieux l'état d'esprit qui y règne.
Si tu as des questions , n’hésites pas , j'y répondrais.