VII;3439992 a dit :
Il me semblait (j'en ai pas lu beaucoup) que Laclos essayait surtout de choquer son monde, de dénoncer un conservatisme hypocrite, mais rien de ce que j'ai lu ne pouvait être interprété comme "féministe" ou même émancipateur, ça reste un noble, riche qui utilise les servants/ domestiques/ jardiniers comme objets sexuels (hommes ou femmes). Pour moi c'est le libertaire qui défend son bout de gras et qui s'émancipe lui même au détriment des autres.
Réduire Laclos à un mec qui cherchait juste à faire de la provoc', j'suis pas d'accord
Le fait qu'il dénonce un "conservatisme hypocrite", ok. Mais justement, le libertin est aussi conservateur que les autres, puisque bien loin de remettre en question les codes de la société, il en joue. Il ne cherche pas à changer le monde tel qu'il puisque c'est son théâtre. Et Laclos n'était pas un noble qui "s'émancipe lui-même au détriment des autres". Celui qui met les lumières de la raison au service de son égoisme, c'est justement le libertin, et le moins qu'on puisse dire, c'est que dans
Les liaisons dangereuses, il en prend pour son grade (et j'y vois aussi une critique de l'oisiveté de la noblesse comme privilège parce que quand on voit comment elle se divertit et dans quelles intrigues elle se fourvoie, on se dit qu'il vaudrait mieux qu'elle s'occupe autrement, enfin , qu'elle travaille quoi.). En revanche, le thème de l'émancipation féminine, c'est le coeur du roman. Le propos de Laclos, c'est de dire: regardez comme des jeunes filles comme Cécile de Volanges sont des proies faciles pour des vautours comme Valmont et Merteuil après une éducation au couvent. C'est pourquoi, en outre que ce ne soit que justice, il faut leur donner une éducation digne de ce nom. Et si j'y voit une critique du slut shaming (même si, ok, c'est une interprétation très moderne), c'est parce que c'est une sorte de concours répandu entre les libertins que de salir la réputation des femmes (c'est d'ailleurs l'intrigue du roman: faire tomber Tourvel, la femme mariée et pieuse, et Volanges, la pucelle qui sort à peine du couvent: des trophées en or, quoi, pour le libertin) et aussi parce que c'est plus une question d'égo, de pouvoir et de domination que de sexe (Valmont dit dans je sais plus quelle lettre que ce qu'il préfère, c'est pas les plaisirs qu'il éprouve dans les bras des femmes mais ce qui vient après, c'est-à-dire l'admiration mondaine de ses pairs une fois ses méfaits révélés: en gros c'est une sorte de réussite sociale
, 'fin bref, tu vois l'genre ). J'pourrais en parler encore mais j'vais m'arrêter là
CCL: Laclos ne fait pas du tout l'éloge du libertinage mais montre au contraire combien il était sensible à la question de la condition des femmes (mais je chipote, je chipote, là
Désolée pour le pavé. C'est juste que j'adore ce bouquin. J't'en conseille vivement la lecture, ou de le relire, vraiment, en entier, si ça remonte. J'l'avais étudié au lycée et après l'avoir relu y a quelques mois, j'y ai découvert plein trucs que j'avais pas vu à l'époque
VII;3439992 a dit :
Pour la phrase en gras, le féminisme est une idée qui part quand même du concert, donc je ne dirais pas que c'est "avant tout une pensée", c'est avant tout un rejet du patriarcat qui peu à peu a construit une (plusieurs) théories, des outils d'analyse, des organisations.
On peut être d'accord avec les idées du féminisme sans pourtant l'être, par exemple j'ai pas mal de potes qui sont d'accord avec les principales idées du féminisme mais qui ne le sont pas (continuent a être machos, ne veulent pas lâcher leurs privilèges), de même que beaucoup de gens sont d'accord avec des analyses de gauche ou d'extrême gauche (partager les richesses, l'impérialisme) mais ne sont pas de gauche.
Disons qu'on peut être d'accord avec une analyse et c'est tout! Et pour moi le féminisme n'est pas qu'une analyse, ni des idées. Pour le sexe, ce n'est pas parce que l'on est une femme qu'on est féministe évidemment et je ne pense pas que ce soit les organisations féministes et les féministes qui ont sacré Colette comme grande féministe (ou si?).
Un homme peut être anti-sexiste, pro-féministe mais pas féministe pour moi, au sens ou comme tu le dis c'est un vécu, une construction sociale qui fait "la femme" ("on ne nait pas femme blabla"), en tant que blanche je peux être anti-raciste mais pas noire, un patron ne peut pas être communiste.
Tous les noirs comme toutes les femmes ne luttent pas pour leur émancipation mais le fait d'être noir est un prérequis pour émanciper les noirs (c'est pas clair mais tu vois?), le fait d'être un ouvrier est un prérequis pour être prolétaire, le fait d'être une femme est un prérequis pour être féministe. En tant que blanche pour lutter contre le racisme j'ai beaucoup d'autres possibilités que de dire que je suis noire, je peux être anti-raciste, ce n'est pas une "exclusion" des hommes mais un recadrage sur le sens des mots (et un aspect d'une lutte idéologique).
Mais finalement, dans le réel, ce n'est pas si important
C'est pas faux
En fait, toute la clé se trouve peut-être dans ce qu'on est féministe différemment, selon qu'on soit homme ou femme (rapport au vécu et au corps). Et d'ailleurs, j'peux m'poser la question: est-ce que je me serais définie comme féministe si j'avais pas été une femme? Pas sûr. D'où le fait qu'il ait beaucoup plus de femmes se disant "féministes" que d'hommes. Mais encore une fois, à partir du moment où on a des idées féministes et qu'on revendique le terme, pour moi, on l'est, qu'on soit homme ou femme. Même si c'est plus rare venant de la part d'un homme et même si un homme vivra le fait d'être féministe de façon différente. Et puis, si se revendiquer anti-raciste, ce n'est pas se revendiquer noir, se revendiquer féministe, ce n'est pas se revendiquer femme non plus.
Pour répondre à ta question sur Colette, c'est juste que c'est un préjugé répandu. Peut-être que du fait qu'elle ait été une femme libre, on a fait d'elle une sorte d'icône du féminisme et on est arrivé au raccourci Colette=féministe. A propos, j'ai oublié de rajouter un truc en parlant de Colette: la raison pour laquelle elle n'est pas féministe, c'est que chez elle, l'émancipation est une démarche purement individuelle, elle prend sa liberté pour elle mais ne l'espère et ne la réclame nullement pour les autres alors que quand on est féministe, on est dans du collectif et du politique: on veut la liberté et des droits pour toutes les femmes. Et c'est pour ça que je l'ai comparée à Laclos (même si c'est anachronique, c'est le seul homme féministe que je puisse vraiment identifier comme tel... A part Bourdieu, pour reprendre l'exemple de Crêpegeorgette... Mais Bourdieu j'connais pas du tout donc bon.), parce qu'il prône l'égalité des sexes et réclame des droits pour LES femmes (d'après ce que j'ai pu en lire dans les Liaisons et dans divers articles sur le net mais je sais pas dans quelle mesure, faudrait que j'm'achète son traité sur l'éducation des femmes pour voir).