@MorganeGirly Le problème en fait c'est quand l'auteur se sent obligé d'expliquer que son héroïne est indépendante ... on dirait qu'il dit au lecteur "Hey ! Hey ! Regarde ! Mon héroïne est indépendante ! Hey !"

Ca serait super s'il faisait le même type d'héroïne, sans expliciter qu'elle est comme ça !
Pour rendre justice à l'auteur, il essaye de faire ça plus subtilement. Genre quand le narrateur se place du point de vue des deux hommes qui la courtisent, on voit que c'est eux qui se font la réflexion qu'elle agit comme un homme ou qu'elle est la hauteur d'un homme dans telle ou telle situation. Et quand on est de son point de vue à elle, c'est sa mère qui lui dit qu'elle ne trouvera pas de mari si elle se comporte trop comme un homme (ALERTE CLICHE des romans à "héroïnes fortes") ou elle qui pense que si elle était seule, elle ne ferait pas comme ça plutôt comme ci, "comme font les hommes".
C'est la façon subtile de montrer qu'elle est différente de ces gonzesses banales et sans personnalité qui peuplaient le 18e siècle.
Ah oui et elle s'est déjà déguisé en homme 2 fois en 50 pages quand même.
@MorganeGirly : J'approuve tellement ton post ! Je me demande si, souvent, une personne qui écrit un roman historique avec une femme "indépendante" se met dans la tête d'introduire un personnage féminin "de notre époque" à un autre âge (ce qui donne parfois une impression désagréable de décalage). Parce que la condition des femmes, c'est fluctuant (le prochain ou la prochaine qui me sort que la Révolution française a été un grand pas en avant pour la condition des femmes, il va m'entendre). Et puis, des personnages historiques féminins intéressants, répondant aux critères "féminins" du XVIIIème siècle, y en a (Madame du Barry, je crie ton nom) ! Mais une femme n'a pas besoin de "ressembler à un homme" pour valoir le coup qu'on cause d'elle...
D'un côté, je peux comprendre que si ça venait d'une femme, ce serait peut-être une façon cathartique d'évacuer un sentiment personnel d'injustice que de montrer une héroïne qui refuse sa condition et se met en tête d'avoir ce qu'ont les hommes. Mais écrit par un homme, je trouve que ça fait cliché facile, même anachronique.
En plus, c'est pas comme si les auteurs contemporains de siècles passés n'avaient pas déjà écrit des personnages féminins indépendants qui évoquaient l'injustice mais ne se plaignaient pas non plus toutes les 2 pages de "mais les hommes ont droit eux!". Au lieu d'inventer des héroïnes anachroniques, on pourrait s'inspirer d'elles.
Par exemple, dans
Les Caprices de Marianne de Musset, Marianne souligne la double-peine que subissent les femmes dont on contrôle la sexualité mais ce que son monologue a l'air de dire, de manière juste et qui resonne encore aujourd'hui, c'est "regarde l'injuste traitement que tu m'infliges", pas "je veux les mêmes droits que les femmes de 2015". Marianne ne remet pas en cause la place des femmes dans la société, elle s'indigne face à ce qu'elle vit au quotidien.
Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes? Voyez un peu ce qui m’arrive : il est décrété par le sort que Cœlio m’aime, ou qu’il croit m’aimer, lequel Cœlio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m’envoyer en votre personne un digne représentant, chargé de me faire savoir que j’aie à aimer ledit seigneur Cœlio d’ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi? N’est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l’heure convenue, à une pareille proposition? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt, et faire de son nom le refrain d’une chanson à boire? Si elle refuse, au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable? Est-il une statue plus froide qu’elle? et l’homme qui lui parle, qui ose l’arrêter en place publique son livre de messe à la main, n’a-t-il pas le droit de lui dire : vous êtes une rose du Bengale sans épines et sans parfum?
En fait, ça me fait penser à un autre cliché historique qui m'énerve : la réaction des héros, plus particulièrement des héroïnes du 17-19e siècle à l'esclavage. En général, ils pensent tous "quelle horreur, c'est inhumain!" et ce sont les "méchants" qui sont d'accord avec l'esclavage. Désolée mais pour que l'esclavage ait pu perdurer comme ça, c'est bien qu'il y avait toute une justification et un argumentaire construit autour qui faisaient que mêmes des défenseurs de l'égalité et des droits admettent son existence. Il n'y avait pas d'un côté les "gens biens" égalitaristes et pas racistes et les "méchants" qui exploitent les esclaves.
Dans le bouquin que je lis, dans un des premiers chapitres, l'héroïne discute d'esclavage et elle dit "que ça doit faire bizarre de donner des ordres à des hommes comme à des animaux" et son interlocuteur lui répond "non, pas le moins du monde" avant d'expliquer qu'il entend faire travailler encore plus dur ses esclaves. Il pourrait y avoir une flèche clignotante disant "ça va être un méchant" que ça ne serait pas mieux fait. Quant à l'héroïne, même si elle n'était pas violemment opposée à l'esclavage ce qui est déjà moins anachronique que j'ai pu lire ailleurs, elle se pose quand même la question alors qu'elle n'a aucun contact avec les esclaves et que si elle a déjà entendu parler d'eux, elle a sûrement déjà entendu aussi tout le discours justifiant l'esclavage. Je ne vois pas pourquoi elle serait plus lucide que ses contemporains sur un truc dont elle n'a jamais été témoin.