Je viens de commencer un livre du romancier britannique Ken Follett qui est très réputé dans le genre historique.
Et ya un truc qui m'énerve VRAIMENT dans les romans ou autre fiction à vocation historisante, c'est cette manie de faire des héroïnes "différentes des autres femmes" parce qu'elles sont "libres et indépendantes". Je sais que c'est censé être un peu féministe et que je devrais être contente d'avoir une héroïne qui ne serve pas de pot de fleurs, mais je trouve ça tellement rabaissant pour les femmes de cette époque et faux historiquement d'imaginer toutes les autres que l'héroïne comme des moutons bêlants sans personnalité sous prétexte qu'elles étaient "rabaissées".
Là je dois être à la page 50 et le narrateur a déjà répété 17 fois que l'héroïne agissait "comme un homme", autre déclinaison de "libre et indépendante". Mais attention hein, elle agit comme un homme mais c'est la plus belle femme du récit! C'est juste une façon de montrer que c'est une "fille libérée" de dire qu'elle est "comme un homme".
Je trouve ça tellement agaçant parce que :
1) C'est une façon bon marché de se la jouer féministe. On montre qu'on désapprouve l'inégalité homme-femme du 18e siècle (bravo, gars!) mais pas la peine d'aller trop loin dans la réflexion en abordant des thèmes toujours valables aujourd'hui. Et même si c'est le cas, on les écrit de telle manière que tout ce que le lecteur peut penser c'est "c'était injuste pour les femmes,
à l'époque".
2) J'imagine que les auteurs font des recherches historiques poussées mais j'ai l'impression que leurs rapports hommes-femmes sont extrêmement influencés par des préjugés historiques. Je lis un roman sur une période que je connais bien et je ne reconnais pas ce que j'ai étudié. Par exemple, l'auteur insiste lourdement sur le fait que son héroïne, une aristocrate, aime la nature, la chasse et monter à cheval mais que ce ne sont pas "des activités de dames". Or, je suis surprise de l'apprendre pour cette période... Après, peut-être que dans le contexte précis décrit par le roman que je ne connais pas, ça se passait effectivement comme ça... Mais j'ai des gros doutes.
3) Un combo des deux points précisés plus tôt. Dans une scène, un des héros embrasse par surprise l'héroïne et lui demande si elle est offensée. L'auteur nous dit que normalement, une demoiselle ordinaire devrait être offensée car on n'embrasse pas "une dame hors du mariage" (sous-entendu, à cette époque, ils étaient tellement puritains, pas comme maintenant!). Mais l'héroïne n'est pas offensée car "elle n'est pas une demoiselle ordinaire". En lisant ce passage, j'étais

. Déjà, je pense qu'une femme de cette époque aurait eu à peu près les mêmes raisons que nous d'être offensées par un baiser : si le baiser n'était ni désiré, ni consenti. Si l'héroïne n'a pas été offensée par le baiser, ce n'est donc pas parce qu'elle était moins coincée que les autres mais parce qu'elle désirait le baiser. Alors merci de ne pas venir faire un mélange de raisons pseudo-historiques et de personnalité exceptionnelle pour justifier ce baiser!
4) Les réelles conséquences sociables vécues par une femme qui fait une subversion des genres ne sont quasiment jamais explorées. On pourrait s'intéresser aux raisons qui pousse son milieu social à accepter cette subversion chez elle et pas chez les autres (en général, le roman justifie ça par "sa forte personnalité"), et si son entourage ne l'accepte pas, on pourrait se pencher sur ce qu'on lui impose en représailles pour cette subervsion (mais en général, l'entourage est juste un peu autoritaire ou trouve ça "séduisant").
J'en ai vraiment marre que les romanciers construisent le côté extraordinaire de leur héroïne par rapport à une binarité homme/femme, qu'ils jouent si souvent sur la rupture avec les codes féminins et l'adoption de codes masculins. Une héroïne ne pourrait pas se construire un destin pertinent en essayant de s'adapter aux normes de son époque? C'est sous-entendre que les femmes de l'époque n'avaient effectivement pas tant de choses intéressantes à partager (à cause de leur oppression, tout ça, et c'est pour ça qu'on entend jamais parler d'elles). Et c'est aussi imaginer que les codes genrés étaient extrêmement rigides alors qu'il y avait quand même une marge fluctuante qui permettait à des femmes de détenir certains pouvoirs avec la bénédiction de leur entourage et sans perdre leur étiquette de "femme respectable".
Donc voilà, maintenant je sais qu'une héroïne historique intéressante est intéressante parce qu'elle est "comme un homme" et que tout ce qui est estampillé féminin manque de piquant.
Enifn, je sais pas, ptete que Ken Follett est pas trop comme ça d'habitude si quelqu'un a déjà lu? C'est mon premier livre de lui. L'héroïne pourrait être attachante mais ça m'énerve vraiment cette obsession à vouloir en faire "l'égale des hommes" en la faisant coller au comportement dit masculin. Elle ne peut pas être l'égale des hommes autrement qu'en étant perçue comme un?