Bonjour à toutes.
Je viens poster ici mon premier message sur le forum. Et il sera très long.
Je n'avais pas ressenti le besoin de le faire avant mais aujourd'hui j'ai envie de témoigner et de partager mes expériences avec vous. Je ne sais pas si c'est pour essayer de mieux comprendre le monde qui m'entoure, les hommes ou autre chose, mais je commence à en avoir ras-le-bol. Plus je grandis, plus je vieillis, plus je deviens femme, et plus je m'assume en tant que femme, plus la difficulté de s'imposer dans ce monde masculin se fait sentir.
Voici mon témoignage.
Pour que vous compreniez bien vous devez savoir deux choses sur moi.
La première c'est que je suis scénariste. Depuis l'âge de 15 ans je me bats pour étudier et vivre "Cinéma". C'est mon moteur au quotidien, quelque chose qui m'anime au plus au point. Vers 19 ans j'ai compris que je voulais écrire. Fervente lectrice, je suis une amoureuse des auteurs du XIXème siècle, en grande partie, du mouvement décadentisme et ce que j'aime dans le cinéma, avant toute chose, c'est l'écriture, le fond d'un projet, sa profondeur, son âme, sa force matricielle.
La deuxième chose c'est que je suis blogueuse mode. Depuis plus d'un an et demi je blogue et je parle de marques, de créateurs, j'assiste à des défilés, à des événements et je fais aussi beaucoup de photos de mes looks afin de partager mon univers avec mes lectrices. Ce que j'aime le plus, au fond, ce n'est pas tant les photos du "bonjour aujourd'hui je me suis habillée", inévitables si l'on veut que son blog fonctionne, mais bel et bien les rencontres et longues discussions avec les créateurs, voir et comprendre le travail de la matière, des tissus, des volumes. Saisir lors d'un défilé de 10mn, ce qui a mis des mois à exister.
J'aime l’éphémère, j'aime de la matière. Je suis une sensualiste. (cf les théories matérialistes et sensualistes sur Wikipédia; c'est pas mal fait et expliqué si ça vous intéresse!
)
Mon histoire commence l'année dernière, lorsque je suis admise en Master pro de Scénario et écritures audiovisuelles. Un master avec concours et sélection à l'entrée. 12 places et moi dedans. 7 années à étudier, aimer le Cinéma, la Littérature et les Arts et voilà que mon rêve se concrétise: Ecrire, écrire, encore écrire. Ecrire le long-métrage que j'ai toujours voulu écrire. Lier, dans le cinéma, ma passion pour l'image et pour la matière.
Me voilà partie pour une année entière de travaux intensifs et l'écriture de mon premier long.
C'est un drame, une histoire de famille, une histoire d'assassinat, dans un huit clos, un château en plein été.
Je voulais enrobée ce film de tout mon être, je voulais l'enrobée de ma vision de la vie et des choses. Je voulais en faire un film sensualiste, un film de matière.
Un de mes personnages est une jeune corsetière qui fabrique une quantité effroyable de corsets dans une ancienne chapelle du château. Je vous passe les détails du défilés des corsets, je crois que je vous avez saisis l’essentiel: C'est un film de meuf.
Il y a quelques semaines de ça, j'ai passé ma soutenance. Soutenue mon long-métrage devant neuf jurys: Mes enseignants, le directeur de la formation et de la faculté, ainsi que trois producteurs venus donner leur avis, nous noter et nous prodiguer leurs conseils
avisés. Derrière moi, une assemblée de 23 élèves: Mes 11 camarades de classe et les 12 élèves de la future promo.
Sauf que j'ai très mal vécu cette soutenance. Sauf que je me suis sentie rabaissée. Ridiculisée. Sexualisée.
5mn de pitch (présentation du film) puis 30 minutes à entendre des producteurs en quête de comédies populaires vous démonter, n'a pas été problématique. Avec un film comme le mien, je m'attendais à ce genre de réactions:
"Mais mademoiselle, si on enlève les corsets et le château? Il reste quoi?" " Je suis désolé je ne vois pas ce qu'il y a de personnel là-dedans, en quoi cela parle de vous?"
Et moi de répliquer, sans pour autant vouloir parler de mon blog puisque ça n'avait rien à faire ici, dans une soutenance:
"Je suis passionnée par la matière, les corsets, la lingerie de manière générale. Il y a un travail de réflexion autour du matérialisme et de l’idéalisme. C'est ce que porte le film."
La soutenance aurait pu se terminer ainsi, malgré le rejet de ce producteur vis-à-vis de mon travail, si mon directeur de formation et Doyen de l'université, qui avait, sans mon accord, pris une photo de moi et de l'assemblée pendant ma soutenance pour la publier sur la page Facebook du master, n'avait pas conclu sur ces quelques mots:
"Charlène, je ne suis pas sans connaître votre passion pour la lingerie fine et les corsets..."
Et à l'assemblée tout entière, profs inclus, de pouffer de rire, avec des petits "ouhouh" par-ci, par-là, afin de souligner le caractère ambigu et sexuel de cette phrase.
Monsieur de doyen avez-vous vu mes portes-jarretelles?
NON.
Mais ce n'est pas finit.
"Charlène, je ne suis pas sans connaître votre passion pour la lingerie fine et les corsets. Aussi je commence à avoir une idée plus précise de la personne qui a dit cette phrase, je cite: "Putain fait chier, la soutenance tombe en plein pendant la Fashion Week!"
Rires, rires encore. Impossible pour moi de répondre.
Je comprends ce qui vient de se passer: Je me rappelle de cette soirée il y a quinze jours. Moi un verre dans la main en train de dire à une copine en rigolant: "Putain fait chié, la soutenance tombe en plein pendant la Fashion Week". Je me souviens que tout le monde a rit ce soir là et que ma copine à tweeter ma phrase sur twitter. Sauf que monsieur le directeur de formation nous "followait". Sur Twitter, Facebook et le reste.
A la pause je suis allée le voir, j'ai balbutié trois mots:
"Vos propos tout à l'heure n'étaient pas vraiment appropriés pour une soutenance, hors contexte".
Monsieur le doyen rit et me pose une main sur l'épaule.
"Enfin Charlène! C'est de l'humour! De l'humour!"
De l'humour. Rien que ça. De l'humour.
Et ce jour-là, monsieur de doyen, était-ce aussi de l'humour?
"Vraiment Charlène, était-ce bien nécessaire de mettre cette robe aujourd'hui?"
Mais moi, monsieur le doyen, oserais-je venir dans l'une de vos réunions pour vous sexualisez lorsque vous êtes en train de défendre votre intellect, votre âme, votre travail devant des professionnels ou collègues pour vous dire: "Je ne suis pas sans savoir que vous remplissez les fonds du master en trompant votre femme, mais tout de même, était-ce bien nécessaire de mettre ce complet trois-pièces aujourd'hui?"
NON.
Parce que votre vie ne me regarde pas. Parce que si aujourd'hui vous êtes doyen de notre belle faculté et que je peux suivre cette formation prestigieuse c'est grâce à vous.
Monsieur le doyen, je n'y peux rien si vous n'avez pas la sensibilité de la matière et que vous ne comprenez pas que lorsque la femme que je suis parle de lingerie, elle n'est pas en train de chauffer l'assemblée mais bien de penser la matière et la sensualité.
Vous n'aviez pas le droit de m'érotiser ce jour-là. Vous n'aviez pas le droit de citer cette phrase de twitter hors contexte, dégradante et humiliante parce qu'elle me fait passer pour une fille superficielle, artificielle, qui devrait probablement retourner à ses chiffons, à la légèreté d'un monde futile de gonzesse, plutôt que de prendre la peine de défendre un film que personne ne comprend.
Dans votre monde, monsieur de Doyen, les femmes ne peuvent pas être belles et intelligentes. Mais monsieur de Doyen, ce monde n'existe pas. C'est dans votre tête.
Merci pour celles qui seront allées jusqu'au bout. Cette histoire je devais vous la raconter parce que le sexisme à saboter le jour le plus important de ma vie étudiante. Mais je ne perds pas espoir: J'aurais d'autres jours importants dans ma vie!