Hello!
TW : Discussion autour de la représentation du viol
On m'a offert un bouquin qui est une sorte de récit autobiographique. L'auteur raconte un passage de sa vie à l'étranger, sa recherche philosophique et artistique, son rapport aux cultures étrangères etc. En bref, un sujet que j'imaginais relativement "safe". Je précise qu'en ce moment, j'ai beaucoup de mal à lire et je ne lis que ce qui me convainc à 100%. Je ne lis rien qui décrit des violences contre les femmes parce que je n'ai pas envie d'affronter ça.
Or dans ce livre où la fille nous raconte ses études d'art, comment elle décroche une bourse pour partir à l'étranger etc., au détour d'un chapitre, soudainement, elle est violée dans des circonstances vraiment effrayantes. Le récit dure même pas 3 paragraphes, il n'y a pas de description de l'agression mais plutôt du contexte : comment elle s'est retrouvée là, qui c'était... En fait, c'était tellement amené brutalement et sans prévenir que sur le coup, j'ai cru que c'était une sorte de délire de la narratrice qui s'imagine les trucs horribles qui pourraient lui arriver. C'est seulement au bout d'un paragraphe que j'ai réalisé que non, c'était bien en train de se dérouler en vrai. Et puis après ces 3 paragraphes, elle reprend son récit, évoque son viol seulement une ou deux fois dans les pages qui suivent et dit qu'heureusement elle n'en a parlé à personne car sinon on l'aurait empêchée de continuer son projet. Et puis c'est tout. On n'en parle plus jamais et le reste du récit n'est pas du tout un récit de violence, il se passe ailleurs, dans un autre contexte, avec d'autres gens. En gros, cet épisode du viol est vraiment une sorte d'épisode différent du récit et isolé du reste, il n'a pas grand-chose à voir.
Et ça m'a vraiment perturbée. Toutes les cinq pages, je repensais à cette histoire de viol alors qu'on était en train de me parler de technique de peinture ou de relations interculturelles. En éteignant la lumière, je continuais à y penser. Je me tournais et retournais dans mon lit et je n'arrivais pas à m'endormir parce que je visualisais la scène, je repensais à la manière dont elle l'avait expliqué etc. J'ai dû rallumer la lumière et reprendre le récit pour me vider la tête. C'est d'ailleurs uniquement pour ça que j'ai continué le livre que j'aurais abandonné pour ce passage autrement : mais si j'arrêtais, je restais hantée par cette image de son viol effrayant.
J'en ai pas mal voulu à l'auteur d'avoir écrit ça sans prévenir sur le coup. Je pestais sur la représentation des viols, en me disant qu'elle aurait pu s'abstenir d'en parler vu que ça n'avait rien à voir avec le reste du récit et qu'on ne l'annonçait pas.
Puis ensuite, je me suis dit que puisque c'était autobiographique, ça devait être important pour elle d'en parler et que je ne pouvais pas lui en vouloir d'évoquer un événement dramatique...
Du coup, j'ai réalisé que ce qui me gênait surtout, c'était que quitte à aborder le sujet, elle ne le fasse qu'à demi-mot. Parce que là, son récit est bref mais perturbant puis se noie dans le reste des événements, comme s'il était déconnecté de sa vie. On ne sait pas comment elle l'a vécu ensuite, comment elle a surmonté ce traumatisme, comment ça a pu influencer son parcours personnel, artistique et professionnel. Je sais que ça a été violent d'abord pour elle mais c'est quand même un sacré trigger pour le lecteur que de lire ce genre d'histoires sans prévenir et de se retrouver tout seul face à ses questions sur l'après, de devoir s'imaginer seul ce qui s'est passé, de gérer seul ce que ce récit fait remonter en lui.
Dans ce cas précis, c'est assez délicat car c'est une victime elle-même qui raconte en ses termes ce qu'elle a vécu et choisit ce qu'elle laisse sous silence ou non. Mais de manière générale, je trouve que c'est souvent comment ça qu'on évoque les viols dans les livres et les films : on parle du moment, on décrit les agresseurs, les conditions de l'agression, la terreur de la victime, mais jamais vraiment de ce qu'elle vit ensuite. Au mieux, on va montrer une héroïne totalement détruite et à la dérive mais on parle rarement de ses véritables sentiments, de ce qui traverse son esprit, des petits moments de vie qui la font tenir si ça l'avait vraiment détruite, ou de ce qui fait qu'elle s'en remet rapidement...
Dans ce récit, sur le coup j'étais contente que ça ne fasse que trois paragraphes parce que je ne voulais pas en lire plus mais au fond, je pense que je l'aurais mieux "vécu" si j'avais eu la possibilité de savoir comment l'auteur avait fait pour poursuivre son projet avec autant de détermination juste après un événement aussi violent et puisque visiblement elle l'a gardé pour elle sur le coup, comment est-ce qu'elle a géré ce souvenir seule dans les jours, les mois, les années qui ont suivies?
Souvent, j'ai lu des livres dont le propos général a totalement été occulté dans ma mémoire par un passage de ce genre : un viol ou une relation sexuelle qu'on devine pas si consentie que ça... Quand j'ai vu Forrest Gump, je devais avoir 8 ou 10 ans et c'est la seule chose que j'ai retenu vraiment : l'héroïne qui est une victime d'inceste et on ne sait pas comment elle le surmonte. C'était censé être "émouvant" ou "frappant" j'imagine mais moi, ça m'a surtout beaucoup choquée et laissée avec plein de questions sans réponses.
C'est pour ça qu'à la limite, je préfère les scénarios de Rape et Revenge quand c'est l'héroïne qui se venge à ces évocations incomplètes d'un viol parce qu'au moins, on voit ce qu'elle fait, ce qu'elle pense, comment elle gère ça, on n'en reste pas là, dans le silence et le vague comme si le viol était une sorte de fatalité, un truc qui arrive comme ça et qu'on n'a pas vraiment les mots ou le pouvoir de commenter...
Voilà, du coup, je déteste quand il y a le thème du viol dans une histoire dont ce n'est pas le sujet et quand ça n'apporte rien au scénario mais je sais que c'est une réalité... Alors comment concilier les deux?
Qu'en pensez-vous? C'est assez désorganisé dans ma tête parce que cet épisode de mon livre est encore en train de me préoccuper mais je voudrais avoir votre avis sur le sujet!