J'ai jeté un oeil au tumblr Veille Permanente et j'ai bloqué sur ce
post-ci, à propos du procès du Carlton. Je trouve que c'est exactement le genre de post qui donne du grain à moudre à ceux qui ont une mauvaise vision du féminisme. Je m'explique.
Je suis d'accord avec une grande partie du post, notamment sur le huis clos (encore qu'en l'occurrence, les médias sont autant responsables que la justice dans la révélation de l'identité des prostituées). Je trouve que les faits sont scandaleux et montrent effectivement que les hommes riches peuvent profiter des femmes pauvres, que c'est anormal d'en être réduite à se prostituer pour nourrir ses enfants, que DSK fait preuve d'une hypocrisie sans limites, que la façon dont ils parlent des femmes est insupportable, etc...
En revanche, quand on dit que "
Le procureur : Je demande une relax
e. Je déclare donc officiellement que le système judiciaire de ce pays permet aux hommes riches de violer et des d’exploiter les femmes pauvres en toute légalité" , c'est complètement contre-productif. Pour protéger le féminisme on s'en prend à la justice, au procès équitable et aux droits de l'Homme.
Le procureur a demandé la relaxe parce qu'il n'avait pas le choix. Les juges d'instruction, sans doute légitimement outrés par les faits, ont inculpé DSK avec la moins petite miette de preuve qu'ils ont trouvé. Sauf qu'un juge ne doit pas être légitime, il doit être légal, et en l'occurrence, il s'agissait de poursuites pour proxénétisme, pas pour viol. Or, le proxénétisme, c'est le fait d'avoir, via un réseau, des prestations sexuelles rémunérées, pas le fait d'avoir tel ou tel type de relations avec une personne que vous payez.
Donc, pour commencer, on n'aurait jamais du déballer ce qu'il se passait dans ces chambres dans ce procès par le menu, parce que ça n'apportait strictement rien à l'affaire et que ça embarassait tout le monde, et notamment ces femmes qui ont du raconter leur humiliation devant un parterre de journalistes voyeuristes qui allaient s'empresser de tout restranscrire dans Closer.
Ensuite, pour en revenir à l'accusation, le procureur a demandé la relaxe par manque de preuves que DSK participait au réseau. Il a été établi formellement qu'il en était bénéficiaire, mais faute de preuves
tangibles qu'il était au courant de l'organisation, on ne pouvait pas le condamner. Encore heureux que par chez nous, on ne condamne pas uniquement sur son intime conviction. Donc faire ce genre de reproches à quelqu'un qui ne fait que son travail, et à qui ça coûte peut-être de devoir demander la relaxe, je trouve ça un peu fort de café.
J'ajouterai aussi que Jade et Sonia n'ont jamais prononcé le mot "viol". Elles en ont manifestement décrits mais en répétant qu'elles étaient consentantes. Pour des raisons qui leurs sont propres, elles ne veulent pas déclencher de poursuites. C'est malheureux, mais à un moment donné, il faut non seulement respecter leur volonté, mais aussi tirer les conséquences de leurs propos. Un juge à qui on dit "non non, j'étais consentante" ne peut pas condamner quelqu'un pour viol, quand bien même il a la conviction que c'en est un. Le juge n'est pas le défenseur de la moralité - et heureusement. Sinon, un juge pourrait très bien dire à une victime de viol "ah mais vous étiez en minijupe, donc c'est votre faute, on va laisser votre violeur dehors", ou "ah, le médecin vous a détruit l'utérus, mais en même temps, vous avortiez, donc tant pis pour vous" (attention, je ne dis pas que ce genre de situations ne se présente jamais, je sais qu'il y a des soucis de ce côté-là aussi, mais dans ce cas, c'est une violation flagrante du droit et là, on peut critiquer quelqu'un qui ne fait pas son travail correctement).
Le fait que le juge soit limité par le légal, c'est aussi quelque chose qui nous protège, donc ça serait bien de ne pas tirer dessus à boulets rouges dès que ça ne va pas dans notre sens. Certains connaissent le système et jouent avec ses failles, et surtout dans ce cas, je trouve ça proprement révoltant, mais ce n'est pas en tirant sur le messager qu'on va faire avancer les choses. Pointer le problème du doigt, oui, mais faire un raccourci aussi énorme, c'est se tirer une balle dans le pied, à mon sens, parce que c'est un argument facilement démontable qui fait dire aux anti-féminismes que les féministes sont contre les hommes, qu'elles ne réfléchissent pas et compagnie. Et c'est quand même dommage.