Je rebondis sur la discussion à propos des animaux de compagnie des SDF, et des gens pauvres qui ont des enfants. Tout d'abord elle fait écho en moi, parce que c'est quelque chose qu'on a souvent dit à ma mère - qu'elle a eu trop d'enfants et qu'elle n'avait pas assez de revenus pour s'en occuper bien. (Je pense que c'est important de dire d'où l'on vient.)
Je trouve ces arguments cruels. Ca revient d'abord à dire que comme il y a des gens qui sont en détresse matérielle, plutôt que de les aider à en sortir, il faut qu'ils s'en accommodent, et c'est leur faute s'ils ont des problèmes. C'est le genre de discours qui au final ne fait absolument rien pour aider les gens, et qui pérennise ces situations. C'est aussi, en filigrane, dire que pour vivre, pour avoir une vie, il faut le mériter.
Et, aussi, d'un point de vue particulier, c'est aussi penser que l'argent suffit à bien s'occuper d'un être vivant. Ou alors, la suite logique de cet argument, c'est de commencer à délivrer des permis d'être parent, ou des permis de cohabitation avec un animal de compagnie, parce qu'on pourrait se dire qu'il n'y a pas que les pauvres qui ne devraient pas avoir d'enfants. Après tout, des gens intolérants, inattentifs, indifférents, absents ont aussi des enfants, ou des animaux de compagnie, et souvent ces enfants et ces animaux sont mal traités. La majorité des abandons d'animaux, la majorité des maltraitances d'enfants ne vient pas de personnes qui n'ont pas les moyens de s'en occuper, je crois, mais de personnes qui n'ont pas envie de continuer à assumer la responsabilité de s'occuper d'une autre personne dépendante. Mais commencer à délivrer des permis pour s'assurer que seuls les personnes aptes à rendre leurs enfants ou animaux de compagnie heureux en ont... c'est laisser à l'autorité qui délivre ces permis le soin de choisir les conditions qui font qu'une personne peut rendre un enfant ou un animal heureux-se ou bien dans sa vie, et c'est donc en conséquence lui laisser le soin de déterminer qu'est-ce qui doit rendre heureux-se une personne (ou un animal). Et ça me semble extrêmement dangereux comme raisonnement.
On peut le prendre à l'envers aussi : malgré les difficultés financières de ma famille (qui n'ont pas été les pires que l'on puisse rencontrer - on était mal logé-es (à 7 dans des hlm minuscules), on était nourri-es avec le premier prix du premier prix, mais onavait de quoi manger, se nourrir, aller à l'école, et un gros capital culturel pour nous aider dans la vie) malgré la pauvreté matérielle, on a eu une enfance assez heureuse, et on a bien grandi - et aujourd'hui j'ai une situation de vie stable, avec un emploi et un logement, je remplis donc des critères de réussite sociale selon la société, et des critères de "réussite" personnelle dans le sens où je vais bien, je suis contente de ma vie - et j'ai des parents qui sont ouverts et qui ne m'ont pas rejeté à cause de ma transidentité, ce qui est une richesse rare qu'on ne peut pas acheter avec l'argent. De même, beaucoup de personnes SDF qui ont des animaux de compagnie s'en occupent très bien, malgré la précarité et la violence de la vie en extérieur, et leurs animaux sont au final bien mieux traités et ont une meilleure vie que beaucoup d'animaux de compagnie qui finissent abandonnés ou maltraités par des gens qui ont une situation matérielle et financière confortable.
L'argent et la difficulté financière, et de manière générale la précarité, ce sont des faux arguments. Ce n'est pas pour dire qu'ils n'entrent pas en compte, et qu'ils ne sont pas important, mais ils ne déterminent pas à eux seuls si une personne est capable ou non de bien prendre soin d'un autre être vivant. Et commencer à décider qui doit ou ne doit pas avoir d'enfants, c'est s'engager sur une pente dangereuse.
Il reste qu'effectivement, des êtres vivants dépendants d'autrui (animaux, enfants mineurs et personnes dépendantes de manière générale) souffrent des abus des personnes qui sont censées prendre soin d'elle. Comment faire en sorte que ce problème-là cesse est une autre question à laquelle je ne réponds pas avec ce post - mais j'aurais tendance à penser qu'il est effectivement plus sain de réagir à postériori pour aller au secours de personnes dépendantes en détresse, plutôt que d'interdire au préalable à certaines personnes d'avoir des responsabilités envers autrui.