Je ne supporte pas dans certaines situations de ne pas pouvoir me définir clairement, de façon concise, et ce que ça peut engendrer.
Cette incapacité ne me dérange pas dans l'absolu mais bien sous des aspects précis et à des moments précis, car si elle existe c'est surtout parce que je privilégie la nuance au simplisme, j'en suis donc plutôt satisfaite étant donné que c'est presque une volonté de ma part. (Je trouve d'ailleurs que les personnes difficiles à cataloguer à tous les niveaux sont souvent particulièrement riches intérieurement.)
Dès que je dois parler de moi j'éprouve des difficultés parce que je n'arrive pas à savoir ce qui me caractérise le plus ou du moins à l'expliquer de manière succincte, le faire me donnerait l'impression de mentir et me mentir du coup je préfère réduire mes propos au strict minimum. Quand j'ai le malheur d'essayer je m'embarque dans un discours qui doit en laisser plus d'un pantois, je ne peux pas m'empêcher d'ajouter des précisions, de nuancer mes idées, mais je reste quand même extrêmement frustrée parce que l'autre n'en a probablement rien a carrer et que je sais que je ne pourrais de toute façon pas être exhaustive, et au plus près de ce que je suis.
Quelque chose que j'ai toujours adoré faire mais qui m'apparaît de plus en plus compliqué c'est de répondre à des questionnaires : que ce soit les questionnaires Madmoizelle pour les échanges de colis, un portrait chinois, le Questionnaire de Proust, ou des sondages, je suis incapable d'émettre une réponse - ou du moins je n'arrive pas à me résoudre à en émettre - qui plus est unique et brève. C'est encore plus ardu lors de tests de personnalité, comme ceux du MBTI : quand les propositions d'office sont "Oui" ou "Non" c'est particulièrement épineux pour moi de choisir parce que ma réponse dépend d'un tas d'éléments qui entrent en jeu, varie selon les circonstances - et c'est d'ailleurs pour ça que je ne suis pas complètement convaincue par la pertinence des résultats. Je pense être bien plus complexe que "blanc ou noir", tout comme la majorité des gens d'ailleurs, tout comme la vie. J'ai du mal à comprendre comment on peut avoir une vision aussi réduite, et je n'arrive pas à accepter de m'y limiter.
J'ai également énormément de mal à hiérarchiser en général, et surtout mes goûts. N'importe quelle interrogation incitant à attribuer à quelque chose le rang de "préféré" devient ma hantise, d'autant plus que je suis aussi très indécise. J'ai plusieurs fois eu envie d'acquérir ce genre de carnets ;
mais en réalité je serai bien incapable de l'utiliser. Paradoxalement j'ai toujours pris du plaisir à faire des listes (beaucoup moins des classements) mais cela devient bien de plus en plus pénible pour moi, probablement me direz-vous parce que j'accorde beaucoup d'importance au fait d'être en accord avec moi-même, que les choses me tiennent tellement à coeur que cela me dérangerait profondément que mon choix ne soit pas totalement rigoureux.
Ce qui est terrible c'est que la société participe à ce besoin de catégoriser, étiqueter et hiérarchiser, balayant tout paradoxe, toute variabilité, toute subtilité ; ce qui est démoralisant c'est que c'est une norme. Et moi je me retrouve à avoir le choix entre esquiver tout ce qui me ferait tenir des propos généralistes sur moi-même, donc finir par paraître fermée ou sans véritable identité, et déverser sans arrêt le monceau de mes oscillations et contradictions à des personnes non réceptives.