@Arwene
Quand on souligne les injonctions pesant sur les femmes (corps et "devoir être" ), est-ce que tu te sens visée personnellement ?
Je ne comprends pas pourquoi quand on parle maquillage, épilation, etc, on arrive à faire la part des choses entre notre personne et le social (tout en reconnaissant nourrir la bête mais on admet que c'est difficile d'y échapper ) mais dès qu'on touche au développement personnel, c'est fini, on ne distingue plus.
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Moi ce que je ne comprends pas, c'est le parallèle que tu fais entre développement personnel et conditionnement patriarcal et qu'en plus tu présentes ça comme une évidence.
Déjà j'ai eu du mal à comprendre l'historique que tu retraces dans ton post. Certains concepts gagneraient à être explicités et je pense que tu survoles trop pour qu'on puisse vraiment saisir toutes les causalités ayant mené à une instrumentalisation du développement personnel.
Ensuite, plus j'y pense, et moins la comparaison avec l’intériorisation du patriarcat (un système vieux de plusieurs millénaires, institutionnalisé, présent à toutes les échelles de la société et consacrant la domination d'une partie de la population sur une autre) me paraît pertinente.
Déjà ça n'est pas si évident de reconnaître en soi le conditionnement patriarcal. C'est le fruit d'une grosse démarche de déconstruction et d'introspection qui n'est pas nécessairement à la portée de tout le monde et qui sera plus ou moins aboutie selon les gens. Ici sur Mmz, on est sensibilisées mais ça n'empêche pas que certaines déconstructions fassent débat et rencontrent des résistances (et c'est sans parler du fait qu'on est loin d'être représentatives du reste de la société). Donc déjà, si le conditionnement patriarcal lui-même est aussi long et difficile à déconstruire alors même que c'est un phénomène à peu près circonscrit, étudié, commenté et débattu depuis des siècles, je ne vois pas pourquoi ce serait plus simple avec le développement personnel qui est bien plus récent, n'est pas identifiable aussi nettement (de par la pluralité de ses méthodes, auteurs, courants et objectifs) et n'est incarné par aucune institution ni loi. Autant il y a des bastions du patriarcat (église et armée pour les plus officiels, mais on peut aussi penser à des groupuscules informels comme les incels, voire à des personnifications à travers des figures comme celle d'Eric Zemmour) autant le développement personnel ne se fédère autour de rien ni personne. Ça n'est qu'un mouvement diffus duquel n'importe qui peut se réclamer, comptant quelques auteurs plus médiatisés que d'autres, mais sans tête pensante ni leader. De ce que j'ai lu sur Cairns, ce qui semble le définir aux yeux des chercheurs c'est précisément la difficulté à le définir (même les objectifs affichés apparaissent comme multiples selon les auteurs). Les frontières sont floues entre DP et philosophie, DP et psychologie, DP et spiritualité et DP et soins du corps (massage, relaxation, yoga, tai-chi, etc.). Donc je trouve que tu t'avances beaucoup en demandant pourquoi on arrive à "faire la part des choses entre notre personne et le social" s'agissant du sexisme et pas du DP. Pour ça, je pense qu'il faudrait déjà réussir à circonscrire très exactement la place du DP dans nos vies, ce qui est loin d'être simple.
Ensuite, quand tu dis :
On admet que le patriarcat créé des sujets, c'est à dire des personnes qui interiorisent tellement les normes qu'elles leur semblent innées et en retour, les sujets nourrissent et créent le patriarcat. C'est un double mouvement et c'est pareil pour le dev perso.
Je vois deux principales objections à cette idée. D'une part, avant d'affirmer cette intériorisation des normes il faut pouvoir la mesurer. Autant concernant le sexisme on a des études sur l'éducation différenciée selon le sexe biologique, ou encore des travaux sur les choix d'orientation à l'école (les filles qui intériorisent l'idée qu'elles sont mauvaises en science et se détournent des études scientifiques) autant s'agissant du DP je vois mal comment on pourrait démontrer cette intériorisation pour toutes les raisons que j'ai exposées plus haut.
D'autre part, il y a une différence fondamentale entre DP et patriarcat : l'un est un système avec une finalité, l'autre n'est qu'un outil. Le premier est une organisation sociétale reposant sur la domination d'une partie de la population par l'autre, mise en œuvre et défendue par des institutions, des normes, des discours, des groupes formels ou informels, etc. quand le second n'est qu'une nébuleuse de méthodes, approches thérapeutiques et philosophies de vie mises à disposition de n'importe qui. Donc je suis d'accord pour dire que le patriarcat "crée des sujets qui le nourrissent en retour", parce que oui, on subit un conditionnement dès la naissance qui vise à nous assigner une place dans la société et qu'on va nous-même perpétuer. Par contre mettre le DP sur le même plan comme s'il se fédérait derrière une intention et disposait des moyens de mettre en œuvre son projet en modelant les rapports sociaux, je ne comprends pas du tout d'où ça sort. Dans le pire des cas il peut être instrumentalisé à des fins productivistes peu soucieuses de l'humain, mais au-delà de ça, il n'est rien de plus que ce qu'on en fait.