@Marine Colombe La question de la consommation des oeufs de poule que tu gardes toi-même est difficile et n'a pas de réponse facile et consensuelle parce qu'elle touche au rapport à l'animal.
La société dans laquelle on vit traite les animaux comme des objets, voire des données ou des statistiques, et n'a en tête que leur rentabilité et l'optimisation de celle-ci. Les mouvements végétariens s'insurgent contre cela et les voient comme des êtres vivants, et font de leur mieux pour les traiter comme tels. Mais faire ça pose la question du rapport à l'animal : est-il acceptable de le tuer pour le nourrir, quand on a la possibilité de le faire autrement ? La réponse qui est largement partagée par les personnes végétariennes est que non. Mais ensuite ? Est-il acceptable de l'exploiter - c'est-à-dire d'entretenir une relation parasitaire avec l'animal ? Est-il acceptable d'avoir une relation bénéficiaire pour les deux parties, où l'animal comme l'humain y gagne ? Faudrait-il au contraire refuser toute relation avec un animal ?
C'est que les animaux n'ont pas la possibilité de faire entendre leur souffrance et leur voix. La relation qu'on a est de nature inégale, et aujourd'hui cette inégalité, ce pouvoir qu'on a sur les animaux, sert à justifier leur réification et leur exploitation. Mais même en refusant cette réification et cette exploitation, il n'y a pas moyen de sortir de cette inégalité, et toute relation (ou refus de relation) qu'on à avec eux leur est imposée. Je ne sais pas si mon lapin de compagnie aurait préféré vivre sans moi, dehors dans la forêt ou la prairie, libre de faire ce qu'il veut sans les contraintes que je lui impose pour qu'on puisse cohabiter. Ou si au contraire, s'il préfère vivre avec moi, que ces contraintes ne l'embêtent pas trop, et qu'il préfère la sécurité, les soins que je lui offre, et de ne jamais avoir faim parce qu'il aura toujours à manger. Je ne sais même pas s'il préfère quelque chose, ni même s'il est capable de préférer une chose à l'autre (peut-être! Je suis végétarienne depuis peu de temps, j'apprends toujours). Je ne peux pas savoir. Je ne peux pas lui demander. Je ne sais pas comment faire pour qu'il puisse me communiquer ce qu'il désire. Et dans un monde idéal, je n'aurai pas de lapin parce qu'on n'aurait pas domestiqué de lapins, on les aurait laissés tranquilles, peut-être, mais je ne vis pas dans un monde idéal, et j'ai récupéré mon lapin dans un refuge, ce qui a permis à la dame de récupérer un autre lapin qui allait finir euthanasié sinon. Selon les circonstances j'ai jugé que c'est bon. Mais c'est moi qui ait jugé ça.
Ces questions ne sont pas simples, et je trouve qu'on évacue un peu vite tout le bien que ça peut faire d'avoir une poule de réforme dans son jardin. D'abord, parce qu'en avoir une, ça sauve une vie. Ca semble une goutte d'eau dans l'océan dans l'absolu, parce que pour une vie de sauvée des milliards d'autre sont condamnées, mais pour cette vie-là, ça fait toute la différence. Ensuite, parce que ça permet aussi de rendre les choses concrètes : les poules d'élevage qu'on tue, ce ne sont pas des chiffres, c'est Cocotte qui court dans le jardin, et toutes ses semblables. Les gens ont une incroyable tendance à ne pas s'émouvoir du sort des animaux qu'on tue tout en réussissant à s'attacher à leurs animaux de compagnie, comme si les deux étaient des entités séparées, les premiers n'ayant pas le droit à être considérés comme des êtres vivants au contraire des seconds - et avoir une poule de réforme, ça permet de montrer facilement ce que c'est que l'on tue.
Le vrai problème, c'est que la question des poules de réformes est toujours formulée en fonction des oeufs qu'elle produisent et pas de l'animal : et c'est toujours considérer l'animal comme quelque chose qui existe pour nous servir, même si c'est un progrès, parce qu'on ne le considère plus comme une chose, comme de la viande si je puis dire. Avoir une poule pour la sauver d'une mort certaine, c'est différent d'avoir une poule pour avoir des oeufs moins cher. Et au final, si en plus on y gagne des oeufs, parce que la poule les pond et n'en a rien à faire, bon, voilà : mais du coup, ça voudrait dire arrêter de considérer cet aliment comme autre chose qu'une opportunité, qu'on peut avoir de temps en temps. Ca veut dire arrêter de le considérer comme essentiel à sa cuisine.
Parce que de manière plus générale il faut voir quel est le prix à payer pour produire des oeufs : toutes ces poules ont bien du naître, et à la naissance il y a autant de poussins mâles que de poussins femelles - et si on ne les tue pas, on se retrouve avec plein, plein de coqs "inutiles" dont il faut bien s'occuper. Les poules de réforme, et les oeufs, ne sont vraiment accessibles que parce que notre société les "produit" en masse et s'en débarrasse quand leur productivité baisse : mais sans ces élevages industriels intensifs, avoir une poule, et avoir des oeufs, ça pose un problème : que fait-on des coqs ?