@Camility Jane En fait, "femme", même si c'est défini dans le dico comme "être humain de sexe féminin", ça inclut une large composante sociale et, par conséquent, des enjeux politiques. Si on demande à des gens de nous dire ce qu'est un homme, y en a un certain nombre qui vont nous dire "C'est quelqu'un qui a un pénis", et ils auront l'impression d'énoncer une évidence d'ordre biologique, sauf que dans la pratique, c'est pas comme ça que ça se passe. Déjà, ces mêmes gens seront capables de dire si, selon eux, telle ou telle personne croisée dans la rue est un homme ou non sans avoir besoin de voir ce qu'elle a entre les jambes, preuve qu'ils ne se basent pas que sur les organes génitaux. Ensuite, il n'est pas rare que des gens affirment que les hommes homosexuels "ne sont pas des vrais hommes" ou que les femmes très masculines "ne sont pas des vraies femmes". Là on est totalement dans le domaine du social, et pas du tout dans celui du biologique, du sexe et de l'anatomie. S'il y avait un consensus pour dire que "homme = humain mâle", il n'y aurait personne pour dire que tel ou tel humain mâle "n'est pas un vrai homme", ça apparaîtrait comme une absurdité, et pourtant, dans notre société, même les gens qui trouvent l'affirmation stupide comprennent le sens qui est mis derrière le mot "homme" dans ce contexte. En fait, les catégories "homme" et "femme" sont totalement des constructions sociales, et comme toute construction sociale qui se respecte, elles ont l'apparence de l'évidence, du truc qui va de soi, alors que quand on creuse, on se rend compte que c'est pas du tout le cas. Dire que les femmes très masculines sont ou ne sont pas des vraies femmes, c'est pas une question de logique, où on part d'une définition partagée du mot "femme" et, en analysant les caractéristiques des personnes en question, on en déduit que oui ce sont des femmes, ou non ce n'en sont pas. C'est une question sociale et politique, où d'un côté, des gens disent "Nous, on veut vivre dans une société où la définition du mot "femme" inclut les personnes qui s'identifient au genre féminin même si leur apparence est très masculine", et de l'autre, des gens disent "Nous, on veut vivre dans une société où la définition du mot "femme" ne s'applique qu'aux personnes qui correspondent à un certain nombre de critères relatifs à la féminité telle qu'on la conçoit"". A l'époque du débat concernant le mariage pour tous, on avait entendu pas mal de gens dire que "Non, les couples homos ne doivent pas pouvoir se marier parce que le mariage, c'est l'union d'un homme et d'une femme". Ils avaient sûrement l'impression de partir de la définition du mariage pour prouver que les couples homos ne devaient pas avoir le droit de se marier, mais en fait, c'était tout le contraire : ils n'avaient pas envie que les couples homos puissent se marier, donc ils affirmaient une définition du mariage qui les excluait. Ca ne se fait pas forcément à un niveau conscient, d'ailleurs. Les gens en question ne se disaient pas forcément "Je ne veux pas que les couples homos puissent se marier donc je vais définir le mariage de telle sorte qu'ils ne puissent pas se marier", mais ayant vécu toute leur vie dans une société où le mariage, c'était toujours un homme et une femme, l'idée que deux hommes ou deux femmes puissent se marier leur semblait incongrue et ils cherchaient ensuite à rationaliser ce sentiment en invoquant une définition qui perpétuait le statu quo.
Pour en revenir aux termes "homme" et "femme", notre société classe tous les individus dans ces deux catégories, mais elle en exclut aussi certains en les considérant comme "plutôt des hommes, mais pas des vrais hommes pour autant, et pas des femmes non plus", et quand tu es considéré comme ça, tu es exclu de la société et dévalorisé (idem si tu es vue comme "plutôt une femme, mais pas une vraie femme pour autant, et pas un homme non plus"), donc pour les personnes concernées, il y a un vrai enjeu à faire évoluer la définition des termes "homme" et "femme", parce que les définitions actuellement en vigueur sont à l'origine d'une souffrance, et que l'évolution vers des définitions plus inclusives leur apporte quelque chose sans rien retirer aux autres. "Être une femme cis", dans notre société, ça ne se limite pas du tout à "être un humain femelle", ça conditionne de nombreux aspects de notre vie qui n'ont rien à voir avec notre anatomie, ça modifie la façon dont les autres gens nous voient et se comportent avec nous, ça donne lieu à un certain nombre d'expériences qu'on partage en grande partie avec les autres femmes cis et autres personnes perçues comme femmes. A l'échelle de notre société, le fait de mettre en avant une définition du mot "femme" comme "humain femelle", c'est un moyen de donner une justification à une division de la population en deux genres, auxquels on prête plein de caractéristiques qui n'ont rien à voir avec leur anatomie, tout en donnant à cet ordre social l'illusion du naturel et de l'évidence. Bien sûr, c'est pas un vaste complot, c'est le résultat de millénaires de construction de notre société et de ses représentations sociales, mais s'en tenir aujourd'hui à une définition de "femme" comme "humain femelle" parce que c'est ce qui est écrit dans le dictionnaire, c'est passer totalement à côté de toute la dimension sociale du terme et de l'enjeu politique qu'il y a pour un individu à être accepté dans le groupe des femmes, plutôt que d'être considéré comme "pas une vraie femme mais pas un homme non plus, bref une personne bizarre qui n'a pas de place dans la société et dont on ne veut pas vraiment".
Bon après, ça c'est mon point de vue de personne qui a beaucoup de mal à appréhender la notion d'identité de genre. Personnellement, je me considère plutôt comme une femme parce que j'ai conscience de faire partie du groupe social des "personnes perçues comme des femmes", d'avoir en quelque sorte appris à être une femme telle que notre société la conçoit, càd avoir acquis des comportements que notre société associe au féminin ou qui se retrouvent majoritairement chez les femmes dans notre société, et d'avoir un certain nombre d'expériences partagées avec les autres personnes perçues comme femmes. Mais je ne pense pas que cette définition corresponde à ce qu'on entend par "identité de genre", parce que si c'était ça, il n'y aurait pas de personnes qui s'identifieraient à un autre genre que celui auquel la société les a assignés. Pour dire les choses autrement, je me sens plus proche du féminin parce que la société m'a façonnée en ce sens, mais je ne suis pas du tout sûre que ça ait quoi que ce soit à voir avec ce que je suis au fond de moi, ma personnalité profonde qui fait que je suis moi. Du coup, je ne sais pas trop si je suis une femme cis ou une personne agenre de sexe féminin, et j'ai du mal à comprendre ce que peut être l'identité de genre pour les gens pour qui c'est quelque chose d'important et qui les définit vraiment. Je pense que quelque part, j'ai du mal à me définir comme agenre parce que j'ai l'impression de ne pas être légitime à me définir comme appartenant à une autre catégorie que la catégorie dominante (cisgenre, donc) alors que je ne subis aucune discrimination liée à l'appartenance à une minorité. Tout ça pour dire que selon moi, les femmes trans doivent être considérées comme des vraies femmes, parce que la définition du mot "femme" est une notion sociale, qui change d'une société à l'autre, et que définir le mot "femme" en y incluant les femmes trans ou non, c'est un choix de société qui a des conséquences très réelles sur les individus. Si on définit le mot "femme" en excluant les femmes trans, on nuit à ces dernières, et on affirme un refus de les inclure pleinement dans notre société en leur donnant un statut marginal et dévalorisé. Idem pour les hommes trans par rapport à la définition du mot "homme", évidemment. Ca, c'est un premier aspect de la question. Après, il y a l'aspect "identité de genre", sur lequel je préfère ne pas trop m'aventurer parce que comme je disais précédemment, ça me parle très peu, mais il y a des gens qui considèrent que "être une femme" et "être un homme", c'est pas juste des faits sociaux, c'est aussi des réalités qui existent indépendamment de la façon dont une société définit les hommes et les femmes. Autrement dit, qu'il y a des "vrais hommes" et des "vraies femmes", et que ça n'a pas à voir avec leur sexe mais avec ce que ces personnes ressentent comme étant leur véritable identité. A mon avis, il est assez difficile de séparer totalement l'identification au genre féminin des représentations du féminin dans notre société, mais il y a des femmes trans butch donc c'est bien la preuve que c'est une question complexe, et le fait que ça me passe totalement au-dessus de la tête me pousse à penser qu'il y a une réalité derrière tout ça mais que je ne la comprends pas parce que je n'ai moi-même pas d'identité de genre. Du coup, je ne rejette pas la possibilité qu'il y ait réellement des hommes et des femmes, mais je m'en tiens surtout à l'idée que les groupes "hommes" et "femmes" sont avant tout des constructions sociales dont la définition est vouée à évoluer en même temps que les sociétés, et qu'il n'y a pas de raison de s'attacher à une définition basée sur le sexe et qui exclut les personnes trans, a fortiori dans une société où le fait d'être un homme ou être une femme relève bien plus du social que du biologique.
Bon j'ai essayé d'expliciter au maximum mon propos pour qu'il n'y ait pas de malentendu, je sais que la question de "Qu'est-ce qu'un homme, qu'est-ce qu'une femme ?" est sensible pour les personnes qui sont régulièrement confrontées à des gens qui remettent en cause leur genre, donc j'espère n'avoir rien dit de blessant.