Je réponds 10 ans après parce que je viens plus tellement sur le forum, mais comme j'avais lu des trucs sur les manifestations en Géorgie aujourd'hui, j'y repensais...@Tessy Pourquoi Gluckmann ? (à cause de Saakachvili ?)
Oui, c'est effectivement en raison de ses liens passés avec Saakachvili que je mentionnais ça, parce que c'est un épisode qui a été copieusement utilisé pour les attaques de trolls, en en donnant une vision caricaturale destinée à des gens qui ne connaissent rien à l'histoire de la Géorgie et seraient déjà bien en mal de la placer sur une carte: il y a par exemple le mythe des "60 000 fonctionnaires licenciés" cités sans contexte pour faire peur parce que bouuuuh, licencier des fonctionnaires c'est maaaal...
Ben en fait, quand on regarde qui précisément a été licencié, c'est un peu plus complexe que ça...
Dans les années 90, la police géorgienne était, à tous points de vue, une mafia, et ce, de longue date. Extorsions d'argent, corruption, intimidation, et des "anciens" qui transmettaient leurs pratiques aux nouvelles recrues... tout ce qu'on attend d'une mafia quoi. L'intégralité des forces de police ont été licenciées sous Saakachvili; puis remplacées par une nouvelle génération de policiers mieux formés, et mieux payés.
Dans le même temps, il y a eu un énorme travail sur la lutte contre les réseaux criminels du pays (les "voleurs dans la loi", notamment), avec des progrès fulgurants et hautement nécessaires, mais au prix d'un penchant vers l'autoritarisme dans le domaine de la justice, ce qui a valu sa carrière politique à Saakachvili.
Si je devais résumer en un mot le positionnement politique de Saakachvili, je dirais que c'est un populiste au sens initial du terme (avant que ça devienne un mot fourre-tout pouvant se traduire par "lui je l'aime pas"), c'est à dire, pour reprendre la définition de Paolo Freire: un dirigeant qui veut faire des choses pour le peuple, mais pas avec le peuple, et qui va réellement améliorer les conditions de vie dans son pays, mais pas nécessairement renforcer la démocratie, l'implication de la société civile dans la politique, etc.
Si tu compares avec d'autres pays ayant le même passé soviétique avec ce que ça implique de corruption, mafias, etc, et qui ont pris leur indépendance à peu près en même temps: en Ukraine, il n'y a pas eu de "chef d'état un peu mégalo" pour virer l'intégralité des forces de police d'un coup, il y a eu une lutte contre la corruption qui est partie de la société civile et ce sont les dirigeants qui ont suivi. Il y a des numéros verts quand tu es témoin de situation de corruption, des procès, des condamnations, mais l'amélioration est lente et restera lente tant que les fonctionnaires resteront aussi mal payés (c'est compliqué, à l'heure actuelle, de boucler les fins de mois sans prendre de bakshish quand t'es fonctionnaire, ou alors il faut un deuxième emploi, ou un.e conjoint.e riche). En cas d'interaction avec un policier, t'as plutôt intérêt à bien connaitre tes droits (mais si c'est le cas, ça ira). Au Bélarus, où il n'y a eu ni chef d'état populiste, ni révolution populaire victorieuse, connaitre ses droits ça va assez vite: t'en as pas. En cas d'interaction avec un policier, soit tu arrives à le payer suffisamment pour qu'il te laisse tranquille, soit t'es fichu. En Géorgie: ben généralement ça va. T'es pas emmerdée par la police si t'as rien à te reprocher.
Globalement, quand tu te retrouves dans une jungle telle que le paysage post-soviétique des années 90, t'as pas "une solution" qui va régler les problèmes...
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