Taha Bouafs a retiré sa candidature en expliquant qu'il n'avait pas la force de supporter toutes les attaques et qu'il craquait. Je trouve ça vraiment dramatique, quoi qu'on pense de ses positions politiques.
Quand j'étais petite, j'imaginais qu'à l'âge que j'ai aujourd'hui, je serai une personnalité importante pour les idées qu'elle défend publiquement. C'était vraiment comme ça que je voyais mon futur idéal, quelqu'un qui se bat pour une cause haut et fort et qui n'a pas peur de prendre position. Mes héros, c'étaient des gens comme Robert Badinter parce que son combat pour la peine de mort me paraissait incroyable. Simone Veil qui disait à un mec du FN pour défendre l'avortement "Vous ne me faites pas peur. J'ai survécu à pire que vous. Vous n'êtes que des SS au petit pied", c'était ça une héroïne pour moi.
Les personnalités politiques de mon adolescence ne me faisaient pas vibrer tant que ça, à part peut-être des personnes comme Eva Joly qui représentaient ce combat pugnace avec sa lutte contre la corruption.
Je pensais que ces gens-là, ce serait moi plus tard, que je deviendrai comme eux, que moi non plus je n'aurai pas peur de ceux qui veulent m'empêcher de lutter contre le progrès.
Mais en devenant adulte, avec le développement des réseaux sociaux, je n'ai jamais finalement jamais eu le courage de m'engager à un niveau qui risquerait de me rendre visible à tous ces gens qui harcèlent et pourrissent la vie des militants en ligne.
Je me suis souvent dit que j'aimerais m'investir plus, j'aimerais publier plus de trucs politiques sur Twitter, sur Internet, j'aimerais aller à des événements où j'assumerai mes convictions publiquement, même devant un public opposé. J'aimerais militer pour un parti politique dans lequel je me reconnais et affronter des gens qui ont une opinion radicalement opposé, mais j'ai bien trop peur de comment ça peut tourner.
Souvent, je me demande comment font ceux qui ont une certaine visibilité. Comment font même les rédactrices de MadmoiZelle à leur niveau intermédiaire pour assumer leurs opinions qui font parfois polémique? Comment font toutes ces femmes féministes qui s'en prennent plein la gueule pour continuer à prendre la parole publiquement?
Alors ces dernières années, quand je me demandais qui serait mon héroïne politique aujourd'hui, souvent je pense à Rockhaya Diallo parce qu'honnêtement, je ne sais pas comment elle fait pour continuer inlassablement à défendre ses convictions face aux racistes et aux misogynes qui l'attaquent continuellement en essayant de la faire passer pour une complice des terroristes et des islamistes ou tout ce que vous voulez. Je ne sais pas comment elle fait pour résister et tenir bon, et toujours rester plutôt calme et patiente et répéter cent fois les mêmes choses, "faire de la pédagogie", lire tous les tweets, répondre à plein de gens, aller sur des plateaux de télé hostiles. Souvent, je me disais qu'elle me donnait de l'espoir. Peut-être qu'un jour, je serais capable de faire ne serait qu'un centième de ce qu'elle fait pour défendre mes convictions? C'est aussi pour ça que malgré tout ce qu'on a pu dire contre Taubira quand elle a voulu se présenter, à essayer de la faire passer pour quelqu'un de droite ou autre, franchement moi je l'admire. J'admire sa résilience et sa capacité à résister au pire de ce que fait la France. Je ne suis même pas noire, je ne suis même pas connue, et j'ai trop peur de trop parler sur Twitter et devenir une cible, alors franchement, je trouve qu'elles donnent de l'espoir.
Et du coup, quand je vois quelqu'un comme Taha Bouafs, qui faisait partie de ces gens où je me disais : comment fait-il pour tenir son cap avec tout ce qu'il se mange? Parce que ça fait des années que même le Président de la République est son ennemi politique, un gamin de même pas 25 ans qui se prend ça comme opposition. Quand je vois qu'il finit par craquer et se retirer de la lutte, je trouve ça terrifiant et dramatique. C'est comme ça que tourne notre politique? Les racistes et misogynes finissent par gagner en décourangeant des gens comme moi de parler et en écrasant ceux qui ont le courage de tenir tête pendant des années? Et après on s'étonne que les militants aient des discours parfois radicaux, "agressifs". Il n'y a pas vraiment le choix, des les gens trop doux soient décimés dès le départ.
Franchement, ça me terrifie. Je ne sais pas comment faire dans le climat actuel pour que les gens qui aspirent à autre chose qu'un combat politique dangereux en permanence puissent s'exprimer et faire changer les choses, si même ceux qui semblaient avoir une très bonne résistance aux polémiques et aux prises de position clivantes jettent l'éponge.