@Poule.Heureuse Merci pour ton message, c'était très intéressant!
@Nacre
Je ne sais pas trop ce qu'il en est pour l'exemple de la Youtubeuse mais le côté "râleurs" des Français a fait l'objet de pas mal d'articles d'anglo-saxons et il y a plusieurs points intéressants.
Un des principaux points que j'ai retenu, c'est le lien avec la santé mentale. Contrairement à ce qu'a ressenti la Youtubeuse dont tu parles, plusieurs auteurs ont tendance à penser que le côté râleur des Français est un avantage en termes de santé mentale. Ainsi, à l'inverse de peuples qui vont réprimer leurs sentiments négatifs, les garder pour eux et les ruminer, les Français les expriment haut et fort. Cela fait que les Français, comme beaucoup de Latins, sont ainsi plus disposer à écouter quelqu'un se plaindre et partager des expériences désagréables sans manifester le moindre malaise. Au contraire, ils vont lui témoigner de l'empathie ("comme je te comprends, moi aussi ça m'énerve") et l'encourager dans son expression des sentiments négatifs. Car en France, ce n'est pas un mythe mais se plaindre est une façon de lancer une conversation. Par exemple, on va se plaindre de la photocopieuse toujours en panne, du bus toujours en retard, de la dernière décision du gouvernement, etc. Et les gens autour de toi vont rebondir, donner leur avis, etc. C'est souvent une façon de tisser des liens inoffensive qui est mal comprise par les étrangers.
Alors c'est sûr que ça a ses mauvais côtés car ça peut pousser à se focaliser sur le négatif et à ne pas reconnaitre le positif, mais j'ai trouvé le commentaire sur la santé mentale intéressante. Dans certains pays, c'est littéralement impossible de dire "je suis en colère", "je suis frustré et déçu" ou "je me sens mal" puis de lister tout ce qui ne va pas. C'est malpoli de faire ça, c'est mal vu, ça créé le malaise. En France, c'est totalement ok de parler pendant 10 minutes de ton banquier qui fout tes plans en l'air, de ton collègue relou, de ta mère qui te prend la tête, etc. Après bien sûr, on s'arrête à un certain seuil d'informations personnelles, mais ça ouvre quand même la porte à certaines discussions pour les gens qui vont vraiment mal comparé à d'autres cultures.
J'ai vécu dans quelque chose comme 6 ou 7 pays dont plusieurs anglo-saxons et je trouve effectivement que les Français sont plus bruyants sur ce qui est négatif. Parfois, franchement ça me saoule et ça me plombe le moral de voir les gens se concentrer autant sur ce qui ne va pas. Mais ça a aussi de réels bienfaits.
Je me souviens par exemple de la fois où on avait reçu les mauvais plats d'un livreur et mes colocs étaient horrifiés que je veuille appeler le resto pour qu'ils nous renvoient les bons plats ou quand Internet marchait pas depuis une semaine, que notre fournisseur nous faisait tourner en bourrique et qu'ils avaient été choquée que j'appelle en me plaignant au service clients que c'était pas normal. Eux, ils appelaient en disant "oh d'accord je comprends" quand on leur disait que désolé, on allait devoir encore patienter. Franchement, parfois je trouvais qu'ils se faisaient grave marcher sur les pieds.
Et une fois, dans une entreprise avec plusieurs nationalités, les gens du pays s'étaient écrasé devant un truc anormal alors que les Français avaient râlé et demandé des comptes, en refusant de faire ce qu'on demandait tant qu'on avait pas des explications. On passait pour des gros relous mais franchement, c'était constructif en termes de défense de nos droits car notre capacité à râler est aussi liée à une volonté de défendre nos droits tandis que d'autres cultures vont chercher à préserver la paix sociale avant de protéger l'individu. Au niveau politique, ça permet d'avoir moins peur de soulever des sujets qui fâchent, même si bien sûr ça n'est pas une résolution magique.
Pour ce qui est des Français qui n'aiment pas la réussite, ça pour le coup je trouve que c'est un énorme mythe, mais ça dépend de quel point de vue on se place. Disons qu'en France, la culture "de gauche" est plus forte qu'aux US par exemple, donc dans un sens américain, valoriser la réussite c'est trouver normal qu'une personne devienne très riche en passant par-dessus les autres qui sont laissés à la traine. En France, on a quand même plus cette conscience que ce n'est pas normal que les richesses soient développées aussi inégalitairement et on ne va pas forcément se précipiter pour applaudir un gars qui devient milliardaire en laissant sur le carreau des milliers de pauvres.
Par contre, franchement, comparé à d'autres pays où j'ai vécu, on adoooore la réussite en France. On est quand même un pays ultra élitiste, et c'est pour ça que ça me parait être un gros mythe qu'en France, réussir est mal vu. J'ai vécu dans des pays où dire un truc du genre "je suis premier de promo" te vaut des sourcils froncés, où les célébrités doivent se comporter comme ton voisin de palier et absolument pas comme quelqu'un de célèbre car sinon elles se font basher par la presse (j'avais même interragi avec le chef d'Etat dans le cadre de mon travail et il me parlait comme si on était de vieilles connaissances - au même événement, il y avait un politicien français, donc MON représentant, et il me traitait comme une servante).
Enfin je trouve ça quand même dingue qu'on entretienne ce mythe des Français qui n'aiment pas la réussite dans un pays où les grandes entreprises ont des grilles de salaires différentes pour un même poste en fonction de l'école d'où on vient, où avoir fait Sciences Po est plus valorisé qu'avoir fait une fac d'Histoire contemporaine et où on a plus de prestige social en sortant de HEC qu'en ayant obtenu un Doctorat de physique quantique.
C'est juste que je pense que chez nous, on a quand même une certaine culture de la vieille noblesse qui continue à flotter quand d'autres pays "plus neufs" ont moins cette notion de "bon goût". Chez nous, la réussite c'est pas Jeff Bezos ou Donald Trump par exemple (eux, ils sont assez "de mauvais goût"), c'est pas le clinquant et les dollars qui claquent sous les yeux du voisin, chez nous la réussite c'est se faire une place au sein de la haute bourgeoisie avec tout ce qui va avec : le type de métier, le type de salaire, le type d'entourage, le type de capital culturel, etc. Et ça, c'est extrêmement valorisé en France quand on change de classe sociale ou qu'on évolue au sein de sa classe sociale. On a un système de classes bien plus rigide que dans d'autres pays, et c'est plutôt en fonction de ce système de classe qu'on évalue la réussite. Donc disons qu'un descendant d'immigré qui devient riche sans changer ses codes de classe (ex typique du footballeur), c'est mal vu effectivement. Mais ça n'empêche que quand un fils de professeur en neurologie issu de la bourgeoisie d'Amiens devient banquier d'affaires puis Président de la République à 39 ans et cite deux-trois philosophes, c'est tout à fait digne de louanges.
Pour ce qui est du salaire, je ne sais pas non plus trop d'où sort ce mythe de "les Français détestent parler d'argent". Je crois que c'est peut-être vrai dans les générations plus anciennes, mais beaucoup de jeunes échangent sur leurs salaires. La différence, je pense que c'est qu'on ne parle pas de salaire pour se vanter de notre réussite, mais plus pour échanger des informations. De même qu'on ne mesure pas l'importance d'un projet à son coût (par exemple, si on rénove le Louvre, on va parler de comment on le rénove, le coût est secondaire car sa valeur est de toute façon inestimable, alors que peut-être que d'un point de vue américain, le prix va justement donner de la valeur au projet, donc on va le dire).