Bonsoir les Madz,
Je vous donne du courage à tous, toutes.
En ce qui concerne les séances routinières, habituelles, qui ne passeraient pas une inspection voici ma réflexion...
L'ESPE nous encourage à faire de chaque séance un tout qui se suffit à lui-même avec une préparation minutée, ou tout est clairement préparé (sous forme de tableau plus ou moins compliqué), au sein de laquelle nous déployons des trésors de pédagogie différenciée, plusieurs exercices (non, attention, je parle mal l'ESPEESQUE, "activités") qui réinventent la roue.
Chaque séance doit être absolument fabuleuse, les élèves doivent en ressortir avec des paillettes dans les yeux, la tête dans les étoiles. Et surtout chaque séance est ultra-précieuse parce que les programmes sont gigantesques et que les heures sautent à toute allure pour différentes raisons plus ou moins légitimes. Donc il faudrait que chaque heure de classe soit aussi géniale,merveilleuse qu'une heure durant laquelle l'IPR vient.
On retrouve ensuite ce discours plus ou moins allégé en formation continue.
Bon.
Repartons de notre réalité, la nôtre, pas des formateurs à la fac.
* Il y a des exercices beaux, qui semblent novateurs qui sont en fait très casse-figure. En histoire par exemple, les tâches complexes où l'élève se met dans la peau d'un personnage historique... Vous imaginez les dérives (et certaines ont eu lieu ) Donc ça a beau être un exercice à la mode, pour moi c'est niet sauf si c'est par l'entremise d'un scientifique "incarné" par l'élève. J'en ai un de prêt que je n'avais pas pu faire en classe l'année dernière à cause de mon arrêt, je le testerai cette année avant de me lancer dans d'autres. Donc tant pis pour l'inspecteur qui y tiendrait comme à la prunelle de ses yeux, j'ai tranché au nom de ma liberté pédagogique avec des arguments convaincants (ou de la pratique selon les cas).
*En ce qui me concerne, je peine à créer certains exercices : j'ai toujours un peu de mal à associer le type d'exercice le plus approprié par rapport à l'endroit où j'en suis dans le chapitre ou par rapport au contenu. Je m'améliore à ce sujet mais je ne choisis pas toujours l'exercice le plus pertinent. Durant mes deux premières années au lycée, après un an de collège, mes exercices étaient toujours trop longs, je n'avais pas le réflexe quiz/ brève vidéo pour les rappels des années antérieures par exemple. C'est ça qui apporte un zeste de diversité. Au début, j'avais peur de faire trop facile avec un quiz ("Qwwa du prélèvement d'information ? Opprobe absolue sur vous..."). Ben oui, mais à ça a le mérite d'être efficace, rapide et de faire participer des élèves qui d'habitude n'osent pas. Donc, hop, une pression ESPEESQUE de moins.
*Par ailleurs, pensez qu'on ne peut pas matériellement chambouler toutes ses pratiques rapidement. C'est, je trouve un métier où l'on teste et on tâtonne beaucoup. On se lance avec un type d'exercice qui nous intimidait jusque là parce qu 'on a une classe sympa qui tiendra la route si elle peine, parce qu'on a des élèves curieux qu'on veut pousser...
Avant l'année dernière, j'évitais les exposés parce que je ne savais pas comment m'y prendre. Dans le cadre de la spécialité, on a décidé d'en faire avec mes collègues selon la même organisation et en partageant les sujets pour travailler l'oral. J'appréhendais mais je me suis lancée parce que c'est le seul moyen de préparer un tant soit peu cette punaise d'épreuve sans heures affectées. J'essuie les plâtres même si les élèves sont aidés (fiche méthode, sources données etc.) : ils rechignent, bâclent leur préparation etc. Je me dis que ce n'est pas un exercice qui me convient, que les élèves le sentent et que c'est mort. J'ai hésité cette année mais j'ai persévéré. J'entends des prestations orales solides. Ce qui a changé : je maîtrise davantage le programme et j'ai été bien plus intransigeante avec les élèves qui tentaient de ne pas passer (donc j'ai progressé sur la gestion de classe). Bon et il faut dire que le groupe de cette année est travailleur. Pour les secondes, j'ai par exemple cadré les exposés à fond : je ne les lance pas dans des séances de recherche une fois le sujet donné. Chaque groupe a un dossier documentaire où j'ai rassemblé des articles qui balaient l'essentiel du thème. Après avoir analysé le sujet, décortiqué les articles, ils cherchent ce qu'il manque (les dossiers ne sont pas exhaustifs). Il aura bien fallu 3 années scolaires pour je trouve ma manière de faire travailler les élèves sur des exposés (et différemment selon la discipline, le niveau). Rome ne s'est pas bâtie en un jour.
* Et la variété d'exercices trouve ses limites par rapport à l'évaluation des élèves. En spécialité, les épreuves sont très classiques. Donc en 6 heures ont a l'impression qu'on peut faire plein d'activités variées, fun et toussa, toussa mais en fait, quand en terminale, les élèves n'arrivent pas à faire un plan chronologique, escamotent une partie du sujet, ou basculent dès l'intro dans le HS bah, on réduit les exercices variés, fun et tout le tralala pour en revenir aux fondamentaux.
Si j'avais le temps, en spécialité, je donnerais un sujet de dissertation et un plan à bâtir toutes les semaines. C'est tout ce que les inspecteurs n'aimeraient pas voir. Sauf que quand on a des sujets dignes de concours tels "Les acteurs étatsuniens face aux enjeux environnementaux" bah, exit les miroirs aux alouettes de l'ESPE.
* Et puis, enfin il y a devant nous une classe. Une classe qui s'enquille sa 7ème heure de cours de la journée. Une classe avec 9 élèves à besoins spécifiques. Une classe au-dessus de laquelle ont lieu des travaux d'entretien bruyants. Une classe interrompue pendant 15 minutes par les autorités compétentes de l'établissement pour gérer un fait grave qui s'est produit dans le cours d'avant. Une classe qui en novembre ne se comporte pas comme elle devrait. Une classe qui a beaucoup d'élèves faibles. A qui vous devezréexpliquer ce qu'est un moine. Faire la police. Vous même vous enchaînez avec votre 6ème heure de cours d'affilé : vous ne savez plus bien ce que vous dites. Vous prêtez une oreille au cours de la salle d'à côté qui se passe trop souvent pas bien et dont les élèves renvoyés dérangent à l'occasion votre propre cours. Vous-même avez préparé votre exercice il y a des semaines, l'avez relu avant de venir mais les 5 heures précédentes semblent l'avoir effacé de votre mémoire. Donc, l'exercice tout beau made-in-espe, il doit pouvoir aussi passer le filtre de la réalité. Est-ce qu'avec cette classe là, en faisant cet exercice-là, si quelque chose part en cacahuète (quelle qu'en soit la raison), je pourrais calmer le jeu, remettre les élèves dans le travail ? Où est-ce que l'exercice que j'ai mis des jours à préparer terminera en eau de boudin à ma plus grande frustration ? C'est ce que j'écrivais plus haut : on peut sortir de sa zone de confort en termes d'exos avec des classes et pas avec d'autres qu'il faut cadrer constamment, dont le plus petit dérangement des habitudes laisse la porte ouverte à des contestations, du bavardage (parce que c'est trop dur, pas pareil etc.). I
Donc, j'en suis à me dire que non, toutes mes séances n'ont pas à être dignes des paillettes que l'ESPE m'a fait miroiter (et qui souvent ne fonctionnent pas). Que mon but est que les élèves soient en sécurité et travaillent dans de bonnes conditions durant une heure ou deux. Que le programme soit respecté (bouclé est encore une autre question). Que les élèves progressent tout en sachant qu'on n'est pas responsable des lacunes toujours plus importantes avec lesquelles ils arrivent. Alors oui, ça fait des séances peut-être routinières. Mais ce sont des séances durant lesquelles nous saurons gérer les imprévus, durant lesquelles nous pourrons aider davantage les élèves en difficultés parce que nous anticiperons leurs erreurs car nos exercices ont été maintes fois peaufinés mêmes s'ils ne sont pas novateurs. Parce que pour tenir dans ce métier usant, il faut certes savoir se questionner sur ses pratiques mais aussi savoir stopper ces questionnements qui risquent de nous bouffer, de nous pousser à toujours plus de travail sans forcément de réussite. Parce que la qualité de notre travail passe aussi par l'approfondissement de notre discipline entre autres en lisant et pas seulement par la recherche d'exercices toujours plus léchés. Certes mon exercice sur les croisades est simple. Mais je suis capable de répondre à toutes les questions que me pose l'élève du fond qui a l'air d'être passionné par le sujet...J'y gagne, mine de rien, en autorité...
* Enfin, s'il y a un thème, un type d'exercice qui vous fait envie, lancez-vous raisonnablement : le plaisir d'enseigner passe par là aussi. J'avais envie de faire un exercice à base de visionnage de films ou de lecture en Terminale spé. Je m'y suis jetée, j'ai cru que ça allait faire un bide tellement les élèves se sont mal organisés et finalement, j'ai été agréablement surprise. Cet exercice, je le garderai tout le temps que durera ce programme (allez, je lance les paris, encore 2 ans, trois maximum).
J'espère que je vous aurais un peu fait rire et rassuré·e. Vous êtes j'en suis sûre des enseignant·es compétent·es et formidables. Vous faites exercez un beau métier que l'on saccage à coup d'injonctions contradictoires, de pertes de moyens plus ou moins organisées et de campagnes de communication malveillantes. On ne peut pas prendre du plaisir dans ce métier en travaillant tout le temps et en doutant tout le temps. Pour le retrouver un peu, il faut prendre du temps pour soi. C'est vital.
Je vous donne du courage à tous, toutes.
En ce qui concerne les séances routinières, habituelles, qui ne passeraient pas une inspection voici ma réflexion...
L'ESPE nous encourage à faire de chaque séance un tout qui se suffit à lui-même avec une préparation minutée, ou tout est clairement préparé (sous forme de tableau plus ou moins compliqué), au sein de laquelle nous déployons des trésors de pédagogie différenciée, plusieurs exercices (non, attention, je parle mal l'ESPEESQUE, "activités") qui réinventent la roue.
Chaque séance doit être absolument fabuleuse, les élèves doivent en ressortir avec des paillettes dans les yeux, la tête dans les étoiles. Et surtout chaque séance est ultra-précieuse parce que les programmes sont gigantesques et que les heures sautent à toute allure pour différentes raisons plus ou moins légitimes. Donc il faudrait que chaque heure de classe soit aussi géniale,merveilleuse qu'une heure durant laquelle l'IPR vient.
On retrouve ensuite ce discours plus ou moins allégé en formation continue.
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Bon.
Repartons de notre réalité, la nôtre, pas des formateurs à la fac.
* Il y a des exercices beaux, qui semblent novateurs qui sont en fait très casse-figure. En histoire par exemple, les tâches complexes où l'élève se met dans la peau d'un personnage historique... Vous imaginez les dérives (et certaines ont eu lieu ) Donc ça a beau être un exercice à la mode, pour moi c'est niet sauf si c'est par l'entremise d'un scientifique "incarné" par l'élève. J'en ai un de prêt que je n'avais pas pu faire en classe l'année dernière à cause de mon arrêt, je le testerai cette année avant de me lancer dans d'autres. Donc tant pis pour l'inspecteur qui y tiendrait comme à la prunelle de ses yeux, j'ai tranché au nom de ma liberté pédagogique avec des arguments convaincants (ou de la pratique selon les cas).
*En ce qui me concerne, je peine à créer certains exercices : j'ai toujours un peu de mal à associer le type d'exercice le plus approprié par rapport à l'endroit où j'en suis dans le chapitre ou par rapport au contenu. Je m'améliore à ce sujet mais je ne choisis pas toujours l'exercice le plus pertinent. Durant mes deux premières années au lycée, après un an de collège, mes exercices étaient toujours trop longs, je n'avais pas le réflexe quiz/ brève vidéo pour les rappels des années antérieures par exemple. C'est ça qui apporte un zeste de diversité. Au début, j'avais peur de faire trop facile avec un quiz ("Qwwa du prélèvement d'information ? Opprobe absolue sur vous..."). Ben oui, mais à ça a le mérite d'être efficace, rapide et de faire participer des élèves qui d'habitude n'osent pas. Donc, hop, une pression ESPEESQUE de moins.
*Par ailleurs, pensez qu'on ne peut pas matériellement chambouler toutes ses pratiques rapidement. C'est, je trouve un métier où l'on teste et on tâtonne beaucoup. On se lance avec un type d'exercice qui nous intimidait jusque là parce qu 'on a une classe sympa qui tiendra la route si elle peine, parce qu'on a des élèves curieux qu'on veut pousser...
Avant l'année dernière, j'évitais les exposés parce que je ne savais pas comment m'y prendre. Dans le cadre de la spécialité, on a décidé d'en faire avec mes collègues selon la même organisation et en partageant les sujets pour travailler l'oral. J'appréhendais mais je me suis lancée parce que c'est le seul moyen de préparer un tant soit peu cette punaise d'épreuve sans heures affectées. J'essuie les plâtres même si les élèves sont aidés (fiche méthode, sources données etc.) : ils rechignent, bâclent leur préparation etc. Je me dis que ce n'est pas un exercice qui me convient, que les élèves le sentent et que c'est mort. J'ai hésité cette année mais j'ai persévéré. J'entends des prestations orales solides. Ce qui a changé : je maîtrise davantage le programme et j'ai été bien plus intransigeante avec les élèves qui tentaient de ne pas passer (donc j'ai progressé sur la gestion de classe). Bon et il faut dire que le groupe de cette année est travailleur. Pour les secondes, j'ai par exemple cadré les exposés à fond : je ne les lance pas dans des séances de recherche une fois le sujet donné. Chaque groupe a un dossier documentaire où j'ai rassemblé des articles qui balaient l'essentiel du thème. Après avoir analysé le sujet, décortiqué les articles, ils cherchent ce qu'il manque (les dossiers ne sont pas exhaustifs). Il aura bien fallu 3 années scolaires pour je trouve ma manière de faire travailler les élèves sur des exposés (et différemment selon la discipline, le niveau). Rome ne s'est pas bâtie en un jour.
* Et la variété d'exercices trouve ses limites par rapport à l'évaluation des élèves. En spécialité, les épreuves sont très classiques. Donc en 6 heures ont a l'impression qu'on peut faire plein d'activités variées, fun et toussa, toussa mais en fait, quand en terminale, les élèves n'arrivent pas à faire un plan chronologique, escamotent une partie du sujet, ou basculent dès l'intro dans le HS bah, on réduit les exercices variés, fun et tout le tralala pour en revenir aux fondamentaux.
Si j'avais le temps, en spécialité, je donnerais un sujet de dissertation et un plan à bâtir toutes les semaines. C'est tout ce que les inspecteurs n'aimeraient pas voir. Sauf que quand on a des sujets dignes de concours tels "Les acteurs étatsuniens face aux enjeux environnementaux" bah, exit les miroirs aux alouettes de l'ESPE.
* Et puis, enfin il y a devant nous une classe. Une classe qui s'enquille sa 7ème heure de cours de la journée. Une classe avec 9 élèves à besoins spécifiques. Une classe au-dessus de laquelle ont lieu des travaux d'entretien bruyants. Une classe interrompue pendant 15 minutes par les autorités compétentes de l'établissement pour gérer un fait grave qui s'est produit dans le cours d'avant. Une classe qui en novembre ne se comporte pas comme elle devrait. Une classe qui a beaucoup d'élèves faibles. A qui vous devez
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Donc, j'en suis à me dire que non, toutes mes séances n'ont pas à être dignes des paillettes que l'ESPE m'a fait miroiter (et qui souvent ne fonctionnent pas). Que mon but est que les élèves soient en sécurité et travaillent dans de bonnes conditions durant une heure ou deux. Que le programme soit respecté (bouclé est encore une autre question). Que les élèves progressent tout en sachant qu'on n'est pas responsable des lacunes toujours plus importantes avec lesquelles ils arrivent. Alors oui, ça fait des séances peut-être routinières. Mais ce sont des séances durant lesquelles nous saurons gérer les imprévus, durant lesquelles nous pourrons aider davantage les élèves en difficultés parce que nous anticiperons leurs erreurs car nos exercices ont été maintes fois peaufinés mêmes s'ils ne sont pas novateurs. Parce que pour tenir dans ce métier usant, il faut certes savoir se questionner sur ses pratiques mais aussi savoir stopper ces questionnements qui risquent de nous bouffer, de nous pousser à toujours plus de travail sans forcément de réussite. Parce que la qualité de notre travail passe aussi par l'approfondissement de notre discipline entre autres en lisant et pas seulement par la recherche d'exercices toujours plus léchés. Certes mon exercice sur les croisades est simple. Mais je suis capable de répondre à toutes les questions que me pose l'élève du fond qui a l'air d'être passionné par le sujet...J'y gagne, mine de rien, en autorité...
* Enfin, s'il y a un thème, un type d'exercice qui vous fait envie, lancez-vous raisonnablement : le plaisir d'enseigner passe par là aussi. J'avais envie de faire un exercice à base de visionnage de films ou de lecture en Terminale spé. Je m'y suis jetée, j'ai cru que ça allait faire un bide tellement les élèves se sont mal organisés et finalement, j'ai été agréablement surprise. Cet exercice, je le garderai tout le temps que durera ce programme (allez, je lance les paris, encore 2 ans, trois maximum).
J'espère que je vous aurais un peu fait rire et rassuré·e. Vous êtes j'en suis sûre des enseignant·es compétent·es et formidables. Vous faites exercez un beau métier que l'on saccage à coup d'injonctions contradictoires, de pertes de moyens plus ou moins organisées et de campagnes de communication malveillantes. On ne peut pas prendre du plaisir dans ce métier en travaillant tout le temps et en doutant tout le temps. Pour le retrouver un peu, il faut prendre du temps pour soi. C'est vital.
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