Encore une fois mes parents n'avaient pas les moyens de me payer ces études. Ils ont juste mis leur épargne à ma disposition en exigeant que je ne sois plus à leur charge.
Je reformule :
"Encore une fois, mes parents n'avaient pas l'argent pour me payer ces études. Ils ont juste mis leur argent à ma disposition en exigeant que je ne sois plus à leur charge."
Ça coince.
Tes parents n'étaient peut-être pas privilégiés mais toi, oui.
C'est un privilège que de partir dans la vie avec une telle somme. Ce n'est pas une insulte, ce n'est pas une tare, ce n'est pas un défaut. C'est juste un fait. Le fait est que tu as eu la chance de naître dans une famille qui avait de telles économies. Par contre, si ton père lui est effectivement parti de rien, alors oui, lui n'a pas eu ce privilège. Mais lui c'est lui. Toi, tu es toi.
Je suis issue d'une famille monoparentale.
Ma mère a perdu son emploi quand j'avais 12 ou 13 ans puis elle a enchaîné chômage et RSA jusqu'à mes 18 ans passés.
Elle n'a jamais touché le moindre centime de pension alimentaire car mon père a fait ce qu'il fallait pour être insolvable.
Ma mère n'y connaissait visiblement pas grand chose en orientation et encore moins dans les domaines qui m'intéressaient donc je n'ai eu aucun conseil, aucun piston. Aucun encouragement à choisir telle filière plutôt qu'une autre.
Quand elle a retrouvé du travail, c'était à peine plus que le SMIC.
Elle n'avait donc aucune économie pour m'aider, rien.
Dès mes 18 ans et tout au long de mes études, malgré ma bourse, j'ai dû travailler et je ne parle pas d'alternance, je parle de faire cours le jour en semaine puis travailler la nuit et/ou le week-end. Bonjour les semaines avec 4h de sommeil par nuit.
J'ai donc payé mes études (qui malgré mon statut de boursière ont été payantes 3 années sur 5) seule. Mon loyer et mes courses lorsque j'ai dû partir du domicile, seule aussi. Il n'y avait pas d'épargne qui m'attendait, pas de "Un an et après tu te débrouilles", c'était "Tu te débrouilles de suite.
Pourtant, j'arrive à reconnaître que j'ai eu des privilèges.
Je suis blanche donc pas de racisme lorsqu'il a fallu postuler pour tel diplôme ou tel stage ou tel boulot.
Je suis française issue d'une famille française donc aucune difficulté avec la langue française versus quelqu'un qui arriverait de l'étranger ou qui serait français mais avec des parents non francophones.
Je suis valide donc j'ai pu suivre mes cours en présentiel sans être gênée par des difficultés d'accès si j'étais en fauteuil ni des difficultés de compréhension en cas de dyslexie ou dyscalculie par exemple.
Ma mère a fait des études. Elle m'a encouragé à lire quand j'étais petite et a pu m'aider pour certains cours de math au collège et au lycée. Ça a été un avantage par rapport à ceux dont les parents ne savent pas lire ou écrire ou compter.
Donc si je suis capable de reconnaître que j'ai eu des privilèges malgré mes difficultés, je suis sûre que tu peux concevoir que toi, en tant que fille d'instituteur (=capital culturel fort) dont les deux parents t'ont donné leur épargne (=capital financier), tu peux reconnaitre que tu as eu des privilèges aussi.
Je répète, ce n'est pas une insulte. Et ça ne veut pas dire que tu n'as fait aucun effort. Juste que tu as eu plus de chance que d'autres.
Quand j'entends le mot "privilège", je pense pas seulement "avantage d'une personne comparativement à une autre" mais aussi "avoir plus que sa part, plus que ce qui nous est dû". Limite, on devrait se sentir un peu gêné d'en bénéficier.
Un privilège ce n'est pas avoir plus que ce qu'on mérite. C'est avoir plus de chance.
Je suis valide. Je peux donc accéder à un établissement où il n'y a que des escaliers et pas de rampe pour fauteuil. Pourtant, je ne reçois pas plus que ce qui m'est dû, je rentre juste dans l'établissement. Je n'ai pas à être gênée de pouvoir y rentrer. Par contre, c'est un privilège par rapport à quelqu'un en fauteuil. Les valides sont privilegiees par rapport aux personnes en situation de handicap.
Eh bien naître dans une famille avec un capital culturel et un capital financier, c'est un privilège.