Une fille dans la file au cinéma, juste devant moi - une loooooooongue file, interminable, qui faisait des mètres et des mètres comme pour un concert, parce qu'un monde fou avait décidé d'aller voir en même temps Harry Potter, famille, gosses, ados, moins ados, tout le monde voulait aller voir Happy Potter, c'est important, merde! - moi qui ait en horreur la proximité des autres, et veux passer incognito, direct à la caisse, merci et bonne séance, j'étais servie. Ces bandes de cons m'ont retardée d'ailleurs, moi et ceux qui allaient voir un autre film (les minoritaires) et j'ai finalement trouvé une place dans la salle à gauche, moi qui exige d'être toujours CENTREE pour apprécier un film. Sans parler qu'une jeune connasse a daigné laisser son sac sur le fauteuil à côté du sien, histoire qu'on ne viole pas son espace vital et m'a donc empêchée de me centrer davantage.
Cette fille donc qui a attiré mon attention, dans la fille d'attente, avait des cheveux mi-longs blonds, avec une espèce de balayage un peu discret, un peu snobinard aussi. Elle était Elégante. Elle se voulait Elégante. Elle portait un fin gilet beige, un petit peu froissé sur le derrière (elle n'avait pas dû s'en rendre compte), un pantalon coupe carotte de couleur noire je crois, avec des espèce de boots Derby à mi-cheville, en daim (ou faux faim). A sa main droite aux ongles peints en rose fuschia, elle tenait son portable nerveusement, pianotant sur son petit clavier avec une vitesse incroyable pour y écrire deux mots - j'ai lu deux conneries mais je me souviens plus - et son regard y revenait sans arrêt, sur son portable, elle était comme prise d'une manie irrépressible, comme si son téléphone était un prolongement d'elle, une fonction à exécuter de façon obsessionnelle pour s'assurer que tout va bien et que tout va bien aller. Elle portait également un sac de type Longchamp, noir. Typique. Elle devait avoir dix-huit, dix-neuf ans, à la rigueur.
Cette fille regardait autour d'elle et hochait la tête d'une façon comme j'ai pu déjà en voir: Certaines filles ont cette attitude-là, et chez elle je la retrouvais. Elle se sentait Importante. Elle se pensait Importante. Dans sa stature, dans son attitude, dans le positionnement de ses jambes et de ses pieds, la fausse décontraction négligée de ses mains dans les poches, son port de tête qui se voulait altier, et son regard subitement posé puis enlevé de la masse des petites gens qui osait s'approcher d'Elle, tout indiquait que cette fille était Quelqu'un d'important, quelqu'un qui se croyait Important et le vivait.
Lorsque je suis arrivée, elle s'est retourné, elle a posé les yeux sur moi, d'un regard méprisant, puis très vite lâche, et surtout furtif - Le fait que je me sois positionnée derrière elle était déjà une énorme faute en soi. J'étais coupable. Coupable de me mettre derrière elle, et coupable d'exister.
Quelques instants plus tard, elle a glissé deux mots à l'oreille de la femme plus âgée qui l'accompagnait, c'était sa mère, ou une autre personne. On fait ça à l'école, on peut encore le faire plus tard. Les fameuses messes basses. Comme j'aime (ironie). Surtout quand la personne en face est seule, c'est plus amusant! La dame plus âgée s'est retournée automatiquement vers moi, et bêtement, s'est faite avoir car je les regardais avec un beau sourire, je venais de les surprendre (j'ai un don, celui de surprendre les gens qui font des messes basses en pleine action et de leur foutre la honte en montrant que j'ai saisi). Elle a ensuite fait mine de regarder ailleurs, quelqu'un. C'était bête et comique. Je ne sais pas si c'était vraiment de moi dont elles parlaient, ces deux imbéciles. Possible mais pas forcément, je sais que j'ai malheureusement aussi des perceptions déformées là-dessus, vis à vis de mon passé, notamment par rapport à l'école.
Après elles sont allées dans une autre file et je les ai perdues de vue. Mais tout en cette fille me révulsait, me dégoûtait, me mettait profondément en colère et paradoxalement, j'en souriais, tellement c'en était ridicule. J'en souriais, d'amusement, de divertissement, j'en aurais ris même, à grands rires. Comment peut-on vivre avec un tel masque, un tel déguisement de soi? Une Image, un artifice de figuration. C'est de la figuration. Certaines figurent. Elles emprutent des codes, des références, des représentations, qu'elles pensent pouvoir ensuite interpréter, en croyant les vivre. Elles n'ont aucune contenance, aucun contenant. Tout est faux, tout sonne faux. Ce sont des personnages, des personnages de fiction, de roman, de musique, de films. Des caricatures.
Et puis aussi, comment peut-on se conforter dans l'illusion que l'on est au dessus des autres? Qu'est-ce qui peut faire croire qu'on a ce pouvoir, cette capacité là? Cette fille était ridicule, et toutes les filles (et les mecs, il y en a aussi) qui se comportent ainsi sont toujours ridicules.