@Mama Sara
Merci pour ce sujet déjà, les réflexions qu'on y trouve sont vraiment très intéressantes.
La question de l'enfant - don, notamment, me parle beaucoup et est assez complexe.
Très clairement, la vision religieuse ne repose pas sur un système social de droits/devoirs, comme le fait la vision démocratique/républicaine. Elle se fonde sur un duo don/dette. Chaun-e est en position de recevoir un don et d'en devenir débiteur envers l'entité qui l'a fait.
(Il y a d'ailleurs des réflexions à avoir sur la dette comme lien social : le lien de l'endettement est fort puisqu'il contraint, et il est également protecteur : si vous voulez être remboursé, il faut que votre débiteur soit vivant et solvable).
La notion de dette dans la Bible est d'abord la dette envers Dieu, qui répond à la question "pourquoi existons-nous ? " la réponse religieuse est "parce que Dieu l'a voulu". D'où la dette "originelle" de l'humanité envers Dieu. Cette dette se retrouve au niveau individuel : une personne nait d'autres personnes (le comment), parce que ces autres personnes ont voulu procréer (le pourquoi). Donc, on nait de la volonté d'autres = la dette du don de vie entre ascendant et descendants.
Quelque part, le "désir" d'enfant (je plussoie la distinction que tu fais entre "envie" et "désir"), renverse l'ordre de la dette : l'enfant comble un désir de ses parents, ce sont donc ces derniers qui lui sont redevables. L'enfant n'est plus redevable envers ses parents parce qu'il existe, mais ses parents lui sont redevables parce que l'enfant a comblé leur désir. Je pense que ce retournement va de pair avec la montée de l'individualisme, ou plutôt de l'individualisation des valeurs : l'individu est devenu la mesure de toute chose. L'enfant n'ayant pas demandé à venir au monde, il n'a pas exercé son libre-arbitre pour exister, il n'est donc pas redevable de quelque chose qui ne dépend pas de lui. (ce n'est pas ma vision des choses, mais je pense que c'est celle qui est de plus en plus admise en occident de nos jours).
Le droit à l'enfant, ou l'enfant-droit (plutôt que l'enfant-dû) s'inscrit dans le même type de schéma : si obtenir un enfant est un droit, alors l'impossibilité d'obtention de l'enfant est opposable aux autorités garantes du droit (l'Etat, l'UE, la CEDH...). Si l'enfant est un don, alors son arrivée ou pas ne dépend que du bon vouloir de l'entité à l'origine du don (la Nature, Dieu, le hasard ou la chance...). Donc, pas d'action possible contre cette entité.
@Allitché c'est intéressant ce que tu décris sur le bruit. Je valide complètement le côté classiste : d'un côté il y a "les enfants bien élevés, qui jouent en silence dans l'endroit qui leur est réservé (à l'écart des autres êtres humains forcément), avec la raie sur le côté", et de l'autre, "les enfants mal élevés qui font du bruit et ne tiennent pas en place". Je pense aussi que le classisme est au rdv : les enfants de pauvres sont bruyants et apprennent des gros mots aux autres (c'est pour ça qu'il ne faut pas les mélanger à l'école maternelle...
). Quelque part, un parent qui laisse son enfant imposer son existence à d'autres personnes fait preuve d'impolitesse, donc peut être catégorisé comme "mal éduqué" selon les standards actuels de la politesse. Par ailleurs, comme l'a évoqué
@Growing Entish : avoir beaucoup d'enfant est très connoté socialement : c'est un signe de CSP- quelque part : manque d'éducation à la contraception, croyances religieuses perçues comme de la superstition, soupçon de vouloir "profiter des allocs", plus le racisme si les parents sont des personnes racisées.
J'admire ta maman d'avoir pu intégrer ses enfants dans sa vie d'adulte. Mais sincèrement, j'ai plutôt souvent noté une grosses réticence face à la présence d'enfants (en hôtellerie-restauration notamment, dans les transports en commun également). Pour ça y'a un bon indicateur : compter les tables à langer. Et ben hors installations sportives, chaînes de resto (typ courtepaille) et aires d'autoroute, on peut se brosser !
Du coup, pour reprendre la question des discriminations entre parents et childfree évoquée par
@Elliana , je dirais que c'est le lot de toute discrimination : les childree n'ont probablement jamais vécu le casse-tête du "où manger, où dormir avec des enfants", donc ielles ne peuvent pas comprendre le ressenti des parents qui se sentent discriminés dans ces situations. A l'inverse, des parents qui souhaitent une stérilisation chirurgicale après 3 ou 4 enfants ne se verront probablement pas opposer le même refus que des personnes n'ayant pas d'enfants et souhaitant la même opération ; ces parents ne comprendront donc pas en quoi il y a une discrimination pour cet acte chirurgical.
Pour ton interrogation sur la prise en charge de l'enfant par la collectivité, c'est directement lié à tout le reste : quelle place accordée à l'enfant selon les normes sociétales. Quand l'intérêt collectif prime sur les individus, l'enfant est vu comme une "richesse nationale" (pour travailler aux champs ou à l'usine, pour faire la guerre, pour faire d'autres enfants plus tard...), alors l'enfant appartient à la collectivité, au sens où tout élément de la collectivité a légitimement un droit de regard sur l'enfant (cf le témoignage de
@Kolibawa qui évoque des souvenirs chez moi aussi). Quand l'intérêt de l'individu est perçu comme menacé par la norme collective, alors procréer n'est plus un devoir mais un choix individuel que l'individu n'a pas à imposer au reste de la collectivité. Je connais quelque childfree repentis (qui ont eu des enfants depuis) qui remettait en question le fait que la puissance publique avantage autant les famille au détriment des personnes sans enfants (quotient familial, allocations diverses, tarifs réduits...). La question est toujours celle que pose la solidarité : pourquoi payer pour les autres quand ces autres font des choix coûteux que je ne fais pas ?